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Témoignage d'un aide-soignant

 

mise en ligne du 25 août 2002

Avertissement : je mets en ligne le parcours d'un aide-soignant. Pour des raisons que l'on peut comprendre à la lecture de ce texte, j'ai conservé l'imprécision de l'auteur sur son identité tout en garantissant la sincérité de ma source.

Aide soignant depuis plus de trente ans dans un établissement de gériatrie (maison de retraite et unité de soins de longue durée), ma vision de la personne agée  et de mon rôle de soignant s'est transformée avec les années et l'évolution de la clientèle.

1970 : agent de service hospitalier stagiaire

C'est l'époque des  "pensionnaires" presque tous valides, dont un grand nombre aimait biberonner. Grandes gueules ou personnages éffaçés, hauts en couleurs ou insignifiants, répugnants ou attachants , ils continuaient leur bout de chemin avant de "passer dans les annexes" (alors salles communes de 26/30 lits) lorsque leur état se détériorait. Epoque où j' ai vidé mon premier bassin que je tenais très haut et très éloigné de moi, époque ou j'ai arrété de manger des huitres car les crachoirs n' étaient pas en carton à usage unique.

Les pensionnaires d'alors ne se laissaient pas marcher sur les pieds et les bagarres étaient nombreuses, surtout les jours de paie de la ristourne avec les problèmes de vols afférents.

1973 : année du certificat d'aptitude aux fonctions d'aide-soignant (CAFAS)

Année marquée  par mon "passage dans les annexes".

C'est l'ouverture sur le monde de  la fin de la vie de personnes que j' avais connues actives. Je les retrouvais fort dégradées. Odeurs à la prise de service du matin, toilettes avant le passage de l'infirmière, réfection des literies et comptage du linge sale à amener à la buanderie, nettoyage de la trop grande salle à la lessive et à l' eau de javel. D'expérience rien ne l'a jamais égalée.

Expérience de nettoyage de plaie par les asticots : pansement " oublié" !

Mes expériences antérieures dans le monde de l' hôtellerie et de la restauration, par mes parents, m' ont permis de m' affirmer dans ces domaines. Mise en place des tables agréables, présentation améliorée des plats ou des assiettes, insistance auprés de l'économat pour que les résidents aient un quart de vin à chaque repas afin qu' ils ne sortent pas en acheter des litres.

C'est là que je me suis rendu compte que les résidents les plus dépendants  dépendaient  en fait de notre bon vouloir et de notre bonne volonté. Leur apporter tant soi peu m' apportait beaucoup en retour. C'est là également que j' ai pris conscience qu'existaient ceux et celles qui voulaient   bien leur apporter  et ceux et celles qui ne voulaient pas.

Celles et ceux qui, lorsqu' un résident réclamait un verre ou bien une couverture ou encore d'être accompagné aux toilettes, répondaient ou ne répondaient pas.

Celles ou ceux qui, arguant du prétexte de la "cagagne", préfèrent boire le jus d' orange du petit déjeuner plutôt que de le donner aux résidents.

Celles ou ceux qui se mettaient de côté les meilleurs morceaux avant le service de table.

Celles et ceux qui faisaient manger les grabataires ou ne les faisaient pas manger.

Celle qui, pour aller plus vite, en faisait manger deux en même temps  avec une seule cuillère et un seul bol.

Celles et ceux qui, seuls dans la chambre du malade, mangaient le dessert du résident qui ne pouvait pas se plaindre.

Celles et ceux qui, sous prétexte de faire les courses du résident,  prenaient une grosse commission.

Ceux qui, incommodés par les éliminations naturelles de certains résidents, les traînaient littéralement jusqu' à la salle d' eau pour leur donner une douche froide.

Celui qui, pour punir un pépé de s'être mis des gants, lui a tenu les mains sous le robinet d' eau chaude et l'a brûlé.

Que dire des tuteurs et tutrices qui, sur un montant mensuel de ristourne de 450 francs ne livrent aux résidents que moins de 200 francs de produits. Sans compter celles et ceux qui passent juste une fois l'an.

C' est là que je reviens à mon dada.

C' est le cadre infirmier qui "fait" son service en étant sur le terrain et en connaissant "ses" résidents et "ses" employés. Sinon, à force de déléguer............

En 30 ans, j' en ai vu des cadres ! Une seule était à la hauteur ... elle a craqué.

2000 : passage de nuit

J'ai été soulagé de passer au travail de nuit. Mais, selon le service où je suis, je devine quels employés étaient présents dans la journée sans consulter le tableau.  Si les résidents sont couchés encore habillés.  Si les selles sont sèches,  collées jusqu'au pubis ou encore si le lit est inondé. Si le verre et la carafe sont absents dans la chambre.  Si des reliefs de repas sont présents dans le lit ou bien si le repas non consommé se trouve encore sur la tablette.

Franck de Marseille


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