mise en ligne le 27 novembre 2004

CONTENTIONS - PLAIDOYER POUR LA LIBERTE 

 

 

 

"Nous sommes responsables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres"

 

DOSTOÏEVSKI - Les frères Karamazov.

 

L'auteur de ce texte :

Brigitte HERISSON

Infirmière de nuit

Avril 2004

E-mail : herissonbrigitte@yahoo.fr

 

Ce texte a été écrit durant l'été 2002, suite au "fleurissement" de la pose de contentions physiques chez des personnes en fin de vie dans un service de médecine.

Ce procédé s'est multiplié au moment des vacances de l'Equipe mobile d'accompagnement et de soins palliatifs (EMASP) et durant la période estivale où les services ont un nombre restreint de personnels.

 

Peut être déjà une piste de réflexion !

 

Le détonateur de ce document a été le cas d'une personne âgée qui devait être prise en charge par des soins palliatifs dès son arrivée et qui est restée attachée tout le mois de juillet sans qu'une seule prescription médicale ne soit notée. Si les deux membres supérieurs bloqués ne suffisaient pas à la contenir selon des appréciations bien souvent très subjectives, les deux membres inférieurs subissaient le même sort. Les jours se sont écoulés sans que la prise en charge ne se soit adoucie et revue de manière plus humaine.

 

Tout comme nous sommes dans l'ère de la communication et nous n'avons jamais tant constaté de solitude, de silence, de mésententes, de suicide, nous serions dans l'ère de la qualité pour réaliser qu'il y en a parfois si peu. Tout le monde ressent ce manque de valeur; nous sommes en pleine hypocrisie et il est temps de le dénoncer !

 

Ce texte fut écrit comme un véritable cri du cœur, non pour juger le procédé qui reste quelquefois nécessaire sur une période très courte dans des conditions bien définies mais pour me libérer d'une révolte intérieure et espérer secrètement que son écho portera ses fruits.

 

Infirmière de nuit, diplômée en "accompagnement et soins palliatifs" et en "prise en charge de la douleur",  j'ai l'opportunité de travailler sur un poste "d'infirmière de renfort " de nuit. Cette activité transversale en milieu hospitalier me permet de travailler avec toutes mes collègues de tous les services et de les aider lors de pics d'activité et/ou à accompagner les patients en fin de vie. Cette fonction originale est animée par un cadre de santé dynamique, à l'écoute de toute remarque et prêt à mettre en œuvre ce qui est nécessaire pour rechercher la qualité et la sécurité pour les patients et pour les soignants.

 

Des réunions entre les infirmières de renfort et l'EMASP ont favorisé un lien et un suivi jour-nuit pour les patients hospitalisés et pris en charge par l'équipe mobile de soins palliatifs.

 

Ces conditions de travail ont permis de mettre en exergue la réalité de la contention chez des patients en fin de vie. Nous ne pouvons pas en être fières, mais la contention s'explique peut-être par les conditions de travail actuelles : la surcharge de travail, le manque d'effectif semblent responsables de cette dérive. Nous savons pourtant que les soins palliatifs sont une recherche constante de confort et de bien-être pour les personnes hospitalisées et c'est bien ce que nous souhaitons tous offrir aux personnes en fin de vie.

 

Alors que faire ?

 

Depuis quelques temps, en service hospitalier, il est constaté une hémorragie massive, un désintérêt de certains soignants pour leur travail ; ceux-ci sont semble-t-il très vite atteints de "burn out". Les conditions de travail deviennent loin d'être attrayantes ; il n'est nullement nécessaire de parler de la mise en place des 35 heures !

Le manque d'effectif majore une charge de travail déjà très lourde ; elle s'appesantit un peu plus de jour en jour et de jour en nuit.

Nos dirigeants, en pleine santé qui, ne connaissent pas réellement le parcours du combattant pratiqué par chaque patient, nous votent des lois merveilleuses lorsque celles ci sont lues par des néophytes, mais tellement utopiques et inopérantes au lit du malade car irréalisables dans la pratique.

Ces mêmes politiques sont rarement les occupants des lits lambda dans nos hôpitaux lambda. Ils préfèrent les soins individualisés dans les petites structures hyper sophistiquées réservées à l'élite de la Nation. Services qui ne connaissent ni pénurie, ni grève, ni  revendication...Pourquoi ?

 

Le monde tourne à l'envers : nous n'avons plus un champ de vision futuriste. Ne sommes-nous pas dans un grand retour à la préhistoire, primaire et rustique ? Période très prisée par nos chères têtes blondes très imaginatives, mais la réalité dépasse la fiction dans sa descente vers le " no man's land. "

En 2002, quels progrès souhaitons-nous? On nous parle de clonage, de recherche alors que nous ne pouvons toujours décemment pas offrir une qualité basique de soins à nos usagers?

Notre hôpital lui aussi aurait bien besoin de soins. Cela tiendra bientôt de la réanimation avec tout ce que cette notion comporte de danger.

 

Les médecins doivent se garantir des éventuels procès. Pour éviter les procédures judiciaires, ils prescrivent beaucoup plus et la "charge en soins" des soignants est conséquente pour chaque malade. Il y a parfois jusqu'à 34 patients dans les unités, au-delà du raisonnable.

 

Les jeunes internes, apprentis médecins, font de leur mieux pour intégrer toutes les notions de soins et de travail en équipe. Débordés eux-mêmes par l'affluence des problèmes à résoudre, par l'énormité de la tâche, par les responsabilités dont ils héritent, ces futurs médecins ne possèdent pas toujours toutes les connaissances nécessaires. Ils en arrivent bien souvent à ne plus avoir l'énergie suffisante pour se déplacer depuis les urgences pour réévaluer l'état du patient hospitalisé et finissent parfois par prescrire toutes sortes de traitements par téléphone, en particulier la nuit où le personnel est à effectif restreint. La garde de nuit des médecins fait suite à leur journée de travail et précède une matinée de stage. De nouveaux textes existent pour le corps médical afin d'améliorer cette situation. Mais quand seront-ils appliqués ou applicables ?

 

Les infirmier(es) prenant leur poste sont quant à eux débordés avant de commencer. Un peu comme un enfant dyslexique qui essaye de suivre en classe. Très vite fatigué de cet exercice perpétuel, cet enfant lâche prise et donne l'impression d'être ailleurs, sur une autre planète. Chaque jour, l'unité de soins se transforme en boulet si lourd à tirer pour continuer à avancer que certains soignants choisissent de rester à l'orée de la forêt, de se retirer sans tirer de révérence. Est-ce un mécanisme de protection pour survivre ?

 

Mais qu'est ce au juste que le soin ? Comment est-il conçu par les administratifs en bonne forme ? Faut-il attendre qu'une personnalité politique "tombe" malade et soit hospitalisée dans un lit de quelque hôpital pour faire évoluer les métiers de la santé ?

Nous avons depuis peu une nouvelle loi pour les droits du patient et la qualité des soins. Mais nous donnons-nous les moyens de l'appliquer ?

Comment exécuter des soins prescrits et initier des soins relevant de notre rôle propre sans léser personne et y trouver la satisfaction du travail bien fait ?

 

 

L'addition des soins prescrits est telle que le soignant est au "bord de la noyade" et ne peut pas exercer avec art et amour son rôle propre, rôle qui nous a tous conduit de près ou de loin à choisir ce métier si intéressant. Non seulement, il n'est plus en mesure d'exécuter les tâches prescrites, mais chaque demande supplémentaire devient un raz-de-marée qui entraîne une tempête dans l'équipe.

Peu à peu le navire- équipe dérive vers l'inconnu et peut se perdre dans le "triangle des Bermudes" sans avoir eu le temps de se poser et de réfléchir.

 

Le soignant reste emprisonné dans le "faire", au coup par coup, un peu comme à la chaîne en usine. Cette déshumanisation des soins explique que la personne malade devienne "objet de soins", sans attente et sans droit.

Le patient lui, ne pratique pas les 3 x 8, mais reste présent 24 heures sur 24 à l'hôpital. Il a le temps de découvrir tous les rouages et d'en subir parfois quelques pannes.

Que peut-il oser demander puisque tout est mis en œuvre pour lui prodiguer l'indispensable ? Toute demande particulière devient superflue et peut irriter les membres de l'équipe en souffrance lorsqu'elle réalise son incapacité à offrir davantage. Notre vision du soin, notre part d'humanité sont alors laissés dans les oubliettes pour être des techniciens et uniquement cela.

 

Quelle satisfaction pouvons-nous en retirer lorsque l'on prend le temps d'y réfléchir ?

Ce temps précieux et nécessaire nous fait prendre conscience de l'engrenage dans lequel nous sommes enrôlés, bien huilé, qui ne laisse plus d'espace pour le temps relationnel.

Qu'est ce que prendre le temps? A qui le prenons-nous? Au détriment de qui ?

Pouvons-nous être fiers des méthodes employées et oh combien décriées par chacun d'entre nous, mais qui ne semblent pas pouvoir être améliorées du fait du sous-effectif ?

Prendre le temps veut dire que l'on en dispose ou que nous avons moyen de nous organiser pour en trouver, sans en abuser, tout cela afin de prendre véritablement soin du patient dans sa globalité, et donc d'être capable de poser des diagnostics infirmiers, d'y répondre avec l'adhésion du malade en mettant en œuvre des actions adaptées. Cela devient du génie ou du miracle suivant notre manière de penser ou de faire.

 

Ce constat d'échec pousse les soignants, épuisés, à agir "hors des normes établies" et peut conduire à des actions inhumaines. Nous sommes bien loin du rôle propre qui est notre fierté. Les "supertechniciens" que nous sommes ne peuvent se rebeller, la technique est un des aspects de leur travail : piquer, perfuser, poser des sondes (gastriques, urinaires....). Quel beau travail nous faisons !

 

Dans ce contexte, la mise en contention physique d'un patient en fin de vie nous interroge tout particulièrement.

 

Comment concevoir dans les principes humanitaires auxquels chacun d'entre nous adhère, nos pratiques inhumaines de contention et en particulier chez la personne en fin de vie ? Méthodes qui se développent parfois, qui se multiplient avec une grande aisance du fait de la quête de sécurité. Il n'est pas nécessaire de faire de longues études et des recherches poussées pour connaître l'utilisation de ces outils. L’absence de menottes de contention dans les services n'est pas une entrave à l'utilisation du système : une simple bande et du coton feront l'affaire !

 

Cette manière d'être soigné est-elle destinée aux plus faibles, synonyme de maltraitance et de barbarie lorsqu'elle est appliquée à outrance ? Ne doit-il pas pourtant exister une prescription médicale ?

 

 Après renseignements recueillis en Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI), ce procédé sophistiqué n'est nullement enseigné aux futurs soignants. Aucun module ne comporte l'apprentissage de pose et de surveillance de ces moyens de contention physique sur les patients. Est-ce à dire que ce n'est pas un soin ? C'est un raccourci qui mériterait que l'on se penche un peu plus en profondeur sur la question. Si cette technique n'est pas enseignée, comment s'expliquer que l'on y ait si souvent recours ? Les jeunes élèves découvrent la méthode lors de leurs stages hospitaliers ; ils s'interrogent, cherchent et ne trouvent aucune réponse acceptable.

 

La charte du mourant nous dicte son premier droit à respecter :

"J'ai le droit d'être traité comme un être humain jusqu'à ce que je meure".

Pourquoi "comme" ? Ne sommes-nous pas tous des êtres humains, quel que soit notre état physique ou mental ? Cette notion n'est pas aussi évidente pour tout le monde ; lorsqu'un jeune interne, donc un futur médecin, admet qu'un patient presque aveugle, atteint d'une tumeur défigurante de toute l'hémiface avec point de départ de l'œil, doit être attaché et gardé dans sa chambre car cette vision d'horreur (pour qui, pour les soignants, le malade ne se voyant plus ?) peut traumatiser des visiteurs et le déplacement du patient hors de sa chambre peut lui occasionner des chutes. Dans quel champ nous plaçons-nous ? Respect ? Elimination ? Les personnes venant se faire soigner doivent-elles être agréables à regarder, s'adapter à nos règles alors que nous-mêmes serions incapables de rester isolés dans la chambre et de surcroît attachées ? Font-elles partie des "mauvais malades"?

 

Dignité, respect, liberté, droit sont parfois des mots, des concepts devenus obsolètes pour certains.

Comment leur redonner la place qu'ils occupaient il n'y a pas si longtemps ?

 

"Prendre soin" a toujours une connotation positive en terme de gain réel, supposé ou potentiel pour le malade. Mais s'est-on bien interrogé sur le gain dans la contention ?

 

Lors de contention prolongée, les patients finissent par avoir des hématomes dus aux frottements, et à la tentative de retrait des liens. Cela provoque des troubles iatrogènes : douleurs, œdèmes, troubles trophiques. Cela ne permet pas pour autant de lever la sanction ; tout reste en l'état.

 

Quelle attitude avons-nous devant une personne qui nous supplie de la détacher, qui se débat de toute son énergie pour retrouver ses mouvements ? Sommes-nous sourds, aveugles ?

Ne sommes-nous pas remués au plus profond de notre être ? Bien sûr que oui, mais que nous propose-t-on ?

Toute immobilisation prolongée a une forte probabilité d'entraîner des contractures, des troubles trophiques, des escarres, des fausses routes, une incontinence sphinctérienne, une perte d'appétit, une déshydratation, entre autres.

Quel lourd tribut, alors que sommes là pour promouvoir la santé !

 

Et si cette contention s'impose, a-t-on prévu la surveillance nécessaire ?

­ Y a-t-il un plan de soin particulier établi dans ces cas de pose ?

­ La fréquence de passages est-elle notée ?

­ Est-il porté une attention particulière sur la tenue décente de la personne ?

­ Respectons-nous ses habitudes de thermorégulation ?

­ Une planification des préventions d'escarres, hydratation, soins de bouche, élimination, alimentation est-elle établie et suivie ?

 

Et plus globalement, le service s'est-il réellement interrogé sur ce " soin " ?

­ Les patients psychiatriques, agités, confus, désorientés sont-ils tous attachés ?

­ En gériatrie, les personnes atteintes de maladie d'Alzheimer ou autres démences dites séniles sont-elles aussi attachées ?

­ Qu'en est-il dans les différentes Unités de Soins Palliatifs (USP) habituées aux prises en charge difficiles ? Ont-elles des protocoles particuliers ?

­ Un plan de soin est-il établi dans les services les plus utilisateurs, avec regard et surveillance du cadre de santé garant de la qualité et de la sécurité des soins ?

­ Les risques de chute ne peuvent-ils pas être majorés par la contention ?

­ Les bénéfices et risques ont-ils été évalués ?

­ Est ce la même équipe qui est à l'origine de la pose ? La nuit ? Le jour ?

­ Quel symptôme a entraîné cette décision ? Confusion ? Agitation ? Déambulation ?

­ Le malade est-il plus particulièrement en chambre à un lit ou à deux lits?

­ Sommes-nous guidés par des protocoles de soins réévalués périodiquement par nos cadres infirmiers et nos chefs de service ?

 

Ce que nous faisons à autrui, pouvons-nous imaginer, dans les mêmes circonstances, qu'on le fasse à nous-même ? Quelle serait notre réaction ?

 

Beaucoup d'entre nous sont parents. Nos enfants ayant fréquenté ou fréquentant encore l'école n'ont pas toujours un comportement, des réactions civiles. Leurs enseignants n'ont pas le droit de toucher "à un de leurs cheveux" pour leur faire entendre raison, sous peine d'être réprimés et peuvent être traînés au tribunal. Cette liberté de nos enfants est des plus normales, nous la concevons sans peine. Les "mauvais élèves" sont-ils enfermés pour ne pas gêner les autres ? Accepterions-nous une telle discrimination ?

 

Nous qui sommes aussi des enseignants du soin d'après l'article 1 et 2 du décret de compétence, comment pourrions-nous prétendre encadrer un étudiant en regard de nos pratiques ?

 

Enfin, pouvons-nous rester spectateur de ce que font les autres? Ne sommes-nous pas non plus entièrement responsables de ce laisser faire ou ne pas faire ; ce choix si difficile peut redonner visage humain à un service ou le faire tomber en décrépitude. Le non dit et l'absence de prise de position quand cette contention semble abusive, irréfléchie, dommageable pour la personne deviennent bien maltraitance, violence collective à l'encontre de la personne. Avons-nous réellement pris le temps de réaliser l'impact de notre action ou de notre non réaction ?

 

Le domaine éthique est présent pour nous aider à trouver la réponse la plus proche du bon sens et redonne une valeur à nos actions. Comment peut-elle nous venir en aide ?

"Envisager le bien des hommes pour "agir le mieux possible " (L'Ethique dans les soins)

Le sujet est libre, il est un être responsable et apte à faire des choix pour lui-même. Ce principe de liberté est un but à atteindre afin de respecter l'Autre en toute justice. Nous devons également ne pas porter préjudice et tendre vers la promotion de l'autonomie de la personne.

Il est important de souligner que "chaque personne est sujet de sa propre conduite". Même dans une équipe, nous avons nos différences, notre regard et notre jugement propres. Allons-nous bâillonner, ou mettre au poteau tout(e) collègue qui ne pensera pas comme nous, ne se comportera pas comme la plupart des membres de l'équipe ?

 

Mettre un patient sous contention nous a été guidé par l'instinct, réaction quasi animale, pour la sécurité du malade. Est-ce la bonne solution ou la moins mauvaise pour l'Homme en souffrance en face de nous ? Que veut-il nous dire par son comportement s'il s'agit d'agitation ? Réagissons-nous en professionnels de santé ?

 

Ne devons nous pas rapidement repenser notre décision, personnellement et en équipe pour l'évaluer et la reconsidérer si besoin en regard de l'éthique ?

Ce simple geste qui est de maintenir attaché une personne malade dans un lit est porteur de lourdes conséquences. Il se transforme parfois en acte violent en portant atteinte au premier droit de l'homme : la liberté. Il est donc urgent de le réévaluer jusqu'à sa levée si cela est nécessaire.

 

Dans notre pays, un homme perd sa liberté après être passé au tribunal devant juge, jurés, avocats et suite à une faute conséquente. Il est alors détenu prisonnier pour un temps défini par avance, dans des conditions précises. La société le punit et se protège. Notre patient sous contention mérite-t-il la même sanction alors qu'il n'a pas commis de faute ? Certes, me répondrez-vous, nous pensons le protéger mais après réflexion n'est ce pas le plus souvent croire se protéger soi même au détriment du patient ? Au nom de quoi ?

Et avons-nous bien pesé les conséquences immédiates d'une chute en regard de certaines répercussions physiques, psychologiques ou sociales moins évidentes de l'utilisation de la contention ?

Ces effets néfastes "moins évidents" voilés par le sentiment de protéger un être cher se résument par le sentiment de mise à l'écart et de déshumanisation, le repli, l'agitation et la dépression, le manque d'appétit, la résignation (privation de liberté, perte de dignité), la perte de mobilité, de fonctionnalité, le sentiment d'emprisonnement.

 

 

L'apprentissage de la liberté s'acquiert peu à peu et n'est pas sans risque. Nos enfants effectuant leurs premiers pas, ne les ont pas fait sans chutes. Mais ils avaient leurs parents présents pour prendre soin d'eux, sans leur voler leur autonomie et leurs premiers pas vers la liberté. Nous ne les avons pas ligotés pour éviter tout risque. Nous avons déployé une imagination créatrice pour parer aux risques tout en laissant l'enfant acquérir son indépendance.

Y a-t-il tant de différence lorsqu'une personne en soins palliatifs veut explorer ce qui lui reste d'autonomie et de liberté, sous le regard bienveillant et généreux des soignants ?

 

Aussi, comment pouvoir lentement et dignement prendre soin de la personne en fin de vie qui devrait glisser des soins curatifs aux soins palliatifs alors que beaucoup d'études démontrent que la confusion prédominante dans les derniers jours de la vie est un signe précurseur d'une fin prochaine ?

De nombreuses familles choisissent de nous confier leur proche en fin de parcours, désemparés par son attitude, fatigués par une surveillance de tous les instants. L'épuisement leur ôte leur dynamisme. Certaines familles ne se rebelleront pas contre une contention, car déjà envahies d'un sentiment de honte d'être fatiguées, de ne pas tenir le coup, elles ne viendront pas critiquer les méthodes employées à l'hôpital. Les visites se raréfient pour quelques-uns, quand le diagnostic est sombre et que le patient ne peut plus communiquer normalement. La mauvaise prise en charge effectuée même pour soulager la famille et lui permettre un répit, de reprendre un peu d'énergie, n'est-elle pas parfois une manière d'enterrer un « mort-vivant » ?

 

Que peut penser un visiteur lorsqu'il sait que les derniers instants de la vie, le dernier souvenir qu'il aura est celui d'une personne ayant perdu non seulement la vie mais sa dignité et sa liberté ? N'allons-nous pas lui laisser le goût amer de s'être fourvoyé dans ses décisions, d'avoir failli à son désir d'accompagner jusqu'au bout la vie ou ce qu'il en reste ?

 

 

Allons-nous choisir de devenir des chercheurs de solutions pour éviter les contentions inappropriées ou de rester des sauvages ligotant les étrangers au totem ?

 

Serions-nous en train de rêver à un monde de malades couchés dans leur lit, comme des marionnettes désarticulées qui ne reprendraient vie qu'en présence de leur manipulateur ? Nous tournons le dos, nous fermons la porte et laissons le malade dans la position qui sera la même à notre prochaine visite. Voudrions-nous que toutes les personnes agitées soient traitées ainsi ?

 

Nous ne pouvons rester sans rien faire ! Nous devons essayer de trouver ensemble des solutions !

Il s'agit d'une urgence. Nous sommes trop distants de ce qui existe en USP !

Nous devrions pouvoir offrir une qualité de soins palliatifs acceptable dans toutes les unités de l'institution ; il faut tout mettre en œuvre pour changer nos pratiques, pour rester digne nous-mêmes. Même si, faute de moyens humains, il est difficile d'égaler la qualité de soins palliatifs des USP, nous devons nous en approcher.

 

 

Quelques pistes paraissent prioritaires à exploiter.

La mise en place d'une contention est définie par la législation. Une contention peut être exceptionnellement mise en place sur prescription médicale. Elle est de courte durée, le temps que le traitement devienne actif. Tout dépassement de ce temps devient abusif et barbare. L' Agence Nationale d’Accréditation en Santé (ANAES) est claire sur la prescription : elle n'est valable que pour 24 heures et réévaluée obligatoirement. Les soignants ne peuvent pas la renouveler de leur propre initiative.

Une personne en fin de vie perfusée n'est pas systématiquement à mettre sous contention. Ne serait-il pas possible de discuter avec l'équipe médicale de l'opportunité de venir l'hydrater à intervalles réguliers avec un verre et de l'eau ou de l'eau gélifiée ? Une alimentation orale évite de nombreux soins de bouche difficiles à effectuer et permet des instants conviviaux au moment des repas, de stimuler la personne, de communiquer davantage et au patient de rester lui-même jusqu'au bout.

 

Les formations en soins palliatifs et les stages en USP paraissent essentiels pour les agents dont les services prennent en charge un grand nombre de patients âgés ou grabataires. Si les années d'expérience professionnelles apportent parfois la maturité nécessaire à la prise en charge de ces patients en fin de vie, la plupart des personnels sont assez jeunes et seuls les formations et/ou stages peuvent leur faire prendre conscience des bonnes méthodes de prise en charge et des qualités personnelles à développer. Prendre soin d'une personne en fin de vie oblige à porter un regard sur la vie, sur sa vie ; sur la mort et sur sa propre mort. Nul ne peut rester indifférent et nul ne devrait manquer de compassion. De retour dans le service, chacun devrait se sentir grandi. Chaque nouvelle expérience enrichira alors les agents et l'équipe.

 

Une recherche de temps précieux reste aussi essentielle dans les services hospitaliers qui ont un grand nombre de malades et trop peu de soignants. Il est toujours possible de repenser nos organisations et d'essayer de rationaliser les tâches mais le contexte actuel laisse tout de même penser que les effectifs sont parfois trop restreints en regard d'une multitude de soins très diversifiés.. Comment faire de la qualité avec si peu de moyens humains? Beaucoup d'entre nous avons pratiqué le bénévolat et l'engagement dans la lutte, ne comptant ni temps, ni énergie pour améliorer la "qualité" des soins dispensés. Mais ce qui n'est pas reconnu et entretenu s'épuise et disparaît. Il reste peu de personnes suffisamment "folles" et motivées pour continuer à donner à corps perdu dans ce type d'investissement .

Ce don de soi, gratuit comment le réclamer à des personnes ayant perdu par usure leurs illusions et la foi en ce qu'elles faisaient ?

Alors certes il faut revoir les organisations mais il faut aussi revoir les grandes orientations politiques !

 

Enfin, comment expliquer que chaque fois qu'un malade est attaché à son lit, un sentiment de gêne est ressenti au moment des transmissions ? Ou comment expliquer que ce " détail " est parfois même omis, évitant ainsi toute explication?

Y a-t-il des réunions spécifiques programmées pour échanger le vécu du personnel pluridisciplinaire dans ces situations ?

Il existe d'ailleurs parfois un regain d'agressivité lorsqu'une personne étrangère au service remet le procédé en cause mais aussi une peur de lever, de sa propre initiative, les liens d'un patient devenu très calme, trop calme ? Est-ce la peur de rétablir un autre type de liens plus affectifs, plus humains avec la personne qui communique avec nous à sa manière ?

Nous sommes des acteurs de santé et nous travaillons normalement avec la logique d'un plan de soins. Cela veut-il dire que les malades sont spectateurs et viendront applaudir chacune de nos actions? Leur donnons-nous moyen de prendre leur vie et leur santé en charge, en possession de tous les éléments? Les patients sont-ils réellement associés à la démarche de soins ?

 

 

C'est autour de toutes ces questions qu'une réflexion de groupe devrait se mettre en place.

Comme partout, il y a des bons et des mauvais acteurs. Au théâtre, toute représentation n'est pas toujours réussie les premières fois et mérite de nombreuses répétitions avant d'atteindre un niveau acceptable. Si l'harmonie ne règne pas dans l'équipe théâtrale, si chacun vit individuellement, cela laisse une impression de cacophonie, de non-sens. Nos équipes de soins demandent le même travail d'ensemble pour une cohérence et une qualité de travail.

 

 

La contention physique doit rester l'exception et doit toujours nous pousser à nous questionner sur notre place à prendre dans une prise en charge la plus adéquate possible, ce qui n'est pas toujours facile et demande de prendre le temps de penser à l'Autre .

 

 

Sommes-nous prêts à déployer tous nos savoirs, notre énergie, notre douceur pour arriver à nos fins : soigner une personne quel que soit son état physique ou mental ?

 

Les conditions de travail ne s'amélioreront pas rapidement, malheureusement, mais devons-nous pour autant faire payer ce lourd fardeau à nos patients ? Avons-nous réellement étudié toutes les possibilités de prise en charge pour ne pas en arriver à ces déviances qui nous font honte ? Nous qui sommes doué(e)s de tant de capacités humaines, allons-nous nous laisser engloutir par la marée et ses vagues ? Ce n'est pas parce que nous vivons par moments de vraies galères que nous devons nous transformer en galériens.

 

N'y a-t-il pas possibilité d'entraide entre tous les acteurs de soins présents dans l'institution afin d'assurer le suivi des patients qui ne demandent plus réellement des soins curatifs, mais des soins relationnels, de la présence et de l'écoute ?

Est-il donc impossible de redonner visage humain à la personne au crépuscule de sa vie?

 

Notre rôle propre n'est-il pas avant tout une histoire humaine, une philosophie qui devrait être là pour recadrer notre pratique?

Tous les textes professionnels mettent en exergue toute l'humanité nécessaire à notre profession qui de tout temps est associée à des synonymes tels que patience, attention, disponibilité, gentillesse… En développant la contention physique nous nous éloignons à grands pas de l'origine de notre profession. Il est encore temps de redresser le barre afin de garder le bon cap, pardon, le cap de bonne espérance. Nous avons toutes une petite lumière qui nous fait tenir le coup et rester. Il faut que toutes ces petites lucioles, ensembles se transforment en brasier et rassemblent les égarés de notre profession dont nous sommes fières au plus profond de nous-mêmes.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

- Charte du patient hospitalisé, circulaire ministérielle n°95-22 du 06/05/95

- Droits de l'Homme

- Ethique dans les soins

- Décret de compétence IDE

- Code de déontologie médicale

- ANAES: limiter les risques de contention physique de la personne âgée

- Diagnostic infirmier

- confusion aiguë

- contention physique

- qualité de vie

- soins personnels, activités de la vie quotidienne

- Soins palliatifs

 

 

 


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