Evolution du statut nutritionnel d'une population de résidents d'une maison de retraite

mise à jour de forme le 21 août 2004

Docteur Michel Cavey

Hôpital saint Jean, Briare

Janvier à juillet 1999

Il est bien connu que les résidents arrivent dénutris en institution et que cette dénutrition s'aggrave avec le temps.

Nous avons pu vérifier cette donnée quant à la première partie : l'albuminémie des patients qui entrent dans notre service de médecine est dans plus de 87% des cas inférieure à 34 g/l, et dans plus de 57% des cas inférieure à 27 g/l. Ce constat nous a fait alerter notre laboratoire de référence, qui a déclenché une procédure de contrôle de ses résultats. Il a pourtant fallu nous rendre à l'évidence : le statut nutritionnel des personnes âgées est un désastre de santé publique.

La question est de savoir dans quelle mesure la seconde proposition est vraie. Nous avons donc étudié le devenir nutritionnel à six mois d'une population de personnes âgées résidant habituellement dans notre établissement. 

La population étudiée :

L'effectif étudié comprenait quarante-neuf personnes résidant au premier étage de la maison de retraite. L'étude a été menée du 1er janvier au 1er juillet 1999.

L'âge moyen à l'entrée était de 82,1 ans (de 54 à 101 ans). 40 résidents avaient plus de 70 ans (moyenne 86 ans).

Ces résidents appartenaient :

Le GIR moyen était de 3,25. Le GIR moyen pondéré de 58,8.

14 résidents sont considérés comme hospitalo-requérants ( 28,5%).

A l'inclusion de l'étude, ont été mesurés ou calculés :

Des marqueurs anthropométriques :

  1. BMI, la taille étant mesurée à la toise ou par la formule de Chumlea,

  2. Circonférence brachiale,

  3. Pli cutané tricipital.

Les mesures étaient faites par le même intervenant.

Des marqueurs biologiques :

  1. VS.

  2. Créatinine sérique.

  3. Albumine.

  4. Hémoglobine.

La VS à l'inclusion était en moyenne à 29,3 mm à la première heure (avec 7 patients au-dessus de 50 mm, dont 2 sont décédés). En cours d'étude 9 syndromes inflammatoires en été pris en charge, dont les quatre patients décédés.

L'albuminémie moyenne était de 34 g/l, avec 30 résidents au-dessous de 35 g/l, dont les quatre patients décédés.

L'étude a été débutée une fois ces données recueillies, soit vers le 15 janvier.

Début juillet, un point de la situation était réalisé, comprenant simplement :

Le taux d'albumine était mesuré avec la méthode du pourpre de bromocrésol par le même laboratoire. Une vérification de la fidélité des résultats avait été faite en début d'étude.

Résultats :

Evolution de l'état de santé :

Quatre malades sont décédés pendant l'étude (8%, soit 16% en moyenne annuelle). Les décès s'analysent comme suit :

  1. Homme, 83,5 ans, dysphagie chronique d'origine non élucidée, mort par cachexie.

  2. Femme, 86 ans, second cancer colique.

  3. Femme, 89,5 ans, moeléna sur diverticulite sigmoïdienne.

  4. Femme, 94,5 ans, cholécystite subaiguë récusée par les chirurgiens.

Ont été étudiés d'autre part :

  1. Le nombre de traitements pour infection respiratoire (sans préjuger de l'exactitude du diagnostic).

  2. Le nombre de traitements pour infection urinaire (avec la même remarque).

  3. Le nombre d'escarres apparues.

S'agissant des infections respiratoires, on a retrouvé 49 traitements concernant 28 résidents (soit 57% de l'effectif).

Résidents non traités

19

Résidents traités 1 fois

16

Résidents traités 2 fois

6

Résidents traités 3 fois

3

Résidents traités 4 fois

3

Pour les infections urinaires, on a relevé 11 traitements chez 10 résidents.

Deux escarres sont apparues, l'une chez une patiente en fin de vie, l'autre étant une rechute d'escarre en fin de cicatrisation. A noter que trois autres escarres ont été prises en charge chez des patients de retour d'un transfert dans d'autres centres.

La VS moyenne a été de 41,2 mm, contre 29,3 mm à l'inclusion (et 29,7 mm en excluant les patients décédés), représentant une augmentation de 40,6%. Globalement, donc, et sur ce seul critère, l'état de santé des résidents a probablement enregistré une aggravation dont il faudrait se demander si elle est seulement liée à l'âge. 15 patients avaient une VS supérieure à 49 mm. Les quatre sujets décédés avaient un syndrome inflammatoire au moment de leur décès.

D'autre part on peut définir par ce moyen plusieurs populations :

=>Résidents dont la VS était inférieure à 50 mm en janvier, et qui se trouvaient dans la même situation en juillet : 28.

=>Résidents dont la VS était inférieure à 50 mm en janvier, et dont la VS se trouvait supérieure à 49 mm en juillet : 12, dont :

  1. Un cancer ORL avancé.

  2. Cinq bronchopneumopathies chroniques obstructives ayant présenté plusieurs poussées infectieuses.

  3. Une probable sigmoïdite chronique.

=>Résidents dont la VS était supérieure à 49 mm en janvier, et qui se trouvaient dans la même situation en juillet : 3, correspondant à :

  1. Un syndrome inflammatoire chez un sujet très âgé, ne correspondant ni à une tuberculose, ni à une hémopathie, ni à une dysglobulinémie, et sans signes cliniques.

  2. Une leucémie myéloïde chronique associée à une prothèse de hanche avec sepsis bien contrôlé.

  3. Un sujet grabataire avec cirrhose hépatique et escarres en bonne voie.

=>Résidents dont la VS était supérieure à 49 mm en janvier, et dont la VS était inférieure à 50 mm en juillet : 2, correspondant à :

  1. Un syndrome inflammatoire chez un sujet de moins de 60 ans, simple trouvaille de dépistage.

  2. Un cancer colique traité chirurgicalement.

=>Parmi les résidents décédés, 2 avaient une VS inférieure à 50 mm (second cancer colique, et diverticulite).

Evolution de l'état nutritionnel :

Le statut nutritionnel a été évalué sur deux critères : le BMI et l'albuminémie ; dans ce qui suit on a exclu les résidents décédés.

Le BMI :

Le BMI moyen à l'inclusion était de 24,5. Il était inchangé en juillet. Ces chiffres témoignent sans doute d'une grande stabilité car :

  1. Pour les 20 résidents dont le BMI était inférieur à 24, la moyenne était de 19,4 en janvier, de 19,7 en juillet ; deux d'entre eux avaient en juillet un BMI supérieur à 23.

  2. Pour les 25 résidents dont le BMI était supérieur à 23, la moyenne était de 28,5 en janvier, de 28,3 en juillet. Un seul avait en juillet un BMI inférieur à 24.

Les résidents décédés avaient en janvier un BMI moyen à 21,7, avec un seul à 26 (second cancer).

L'albuminémie :

L'albuminémie moyenne à l'inclusion était de 34,5 g/l ; 25 résidents avaient une albuminémie inférieure à 35 g/l, soit un taux de 55%.

En juillet, l'albuminémie moyenne était de 35,2 g/l, soit un gain de 0,7 g/l (2%, probablement non significatif) ; 22 résidents avaient une albuminémie inférieure à 35 g/l, soit 48%.

On peut étudier plusieurs sous-populations. Dans ce qui suit, on admet qu'un taux d'albumine inférieur à 35 g/l est synonyme de dénutrition.

=>Parmi les 25 sujets dénutris en janvier :

  1. 9 n'étaient plus dénutris en juillet.

  2. 8 s'étaient améliorés ou stabilisés.

  3. 8 s'étaient aggravés.

S'agissant des aggravations, on note une perte moyenne de 2,25 g/l. Parmi les résidents aggravés on retrouve trois sujets bronchitiques chroniques ayant perdu plus de 3g/l. Pour les autres, un seul a une perte supérieure à 1g/l.

Le gain moyen des sujets non aggravés mais encore dénutris est de 1,1 g/l.

Le gain moyen des sujets sortis de la dénutrition est de 6,7 g/l.

Pour l'ensemble de cette population, le gain moyen est de 2,08 g/l, soit 6% (mais il y a eu quatre décès). Au total 17 résidents (68%) ont été améliorés. Le BMI est resté stable, avec une moyenne de 22,6 en janvier et de 22,7 en juillet.

A noter que l'état nutritionnel de cette population est fortement obéré par la pathologie : la VS y a progressé de 32,1 mm à 45,8 mm (soit + 43%), et on y retrouve 7 sujets représentant 19 infections respiratoires, le sujet survivant porteur d'escarre, le sujet ayant présenté 2 infections urinaires.

=>Parmi les 20 sujets non dénutris :

  1. 10 ont vu leur statut nutritionnel se stabiliser ou s'améliorer encore, le gain moyen étant de 1,9 g/l.

  2. 4 se sont dégradés, la perte moyenne étant de 2g/l.

  3. 6 sont devenus dénutris, la perte moyenne étant de 5,5 g/l (mais un sujet a perdu 19 g/l ; si on l'exclut la perte moyenne est de 2,8 g/l).

Les sujets qui se sont dénutris l'ont souvent fait pour des raisons endogènes : la VS moyenne de ce sous-groupe était de 24,1 mm en janvier, de 60,3 mm en juillet. On y retrouve :

Le BMI moyen de ce groupe de non-dénutris est resté stable.

=>En termes de résultats globaux :

Discussion des résultats :

C'est délibérément qu'on n'a procédé à aucune étude statistique des résultats obtenus : cette étude assurément n'en vaut pas la peine, qui ne visait qu'à donner quelques indications. On se bornera donc ici à des commentaires.

  1. L'amélioration constatée est de 2%, ce qui est peu ; il faut cependant en déduire que le statut nutritionnel des résidents ne s'est pas aggravé durant la période considérée, cette période étant courte (d'autant que les mesures diététiques prises l'ont été de manière progressive et empirique).

  2. Cette amélioration n'est pas corrélée à une diminution de prévalence de la dénutrition endogène, puisque la VS moyenne a nettement progressé. On peut même avancer l'hypothèse que la dénutrition endogène résultant de l'aggravation du statut inflammatoire a été complètement annulée par la stratégie nutritionnelle.

  3. 18% des résidents dénutris à l'inclusion ne le sont plus à la sortie.

  4. La pathologie aiguë observée durant cette période semble avoir été faible : en moyenne annuelle, l'incidence des escarres a été de 8% ; la mortalité a été de 16% ; il est plus difficile de définir la prévalence des infections urinaires et respiratoires, car la pratique actuelle des médecins de l'établissement conduit à l'évidence à un surtraitement ; les chiffres retenus surestiment la situation : par exemple l'incidence des traitements de l'infection urinaire est ici de 44% en rythme annuel, ce qui correspond à l'incidence habituelle du taux de positivité des bandelettes de dépistage dans une population âgée.

  5. Il se pourrait donc que la population étudiée bénéficie d'une santé relativement bonne. Toute la question est de savoir s'il s'agit là d'une période exceptionnellement calme ou si cet état de chose peut être mis en corrélation avec une amélioration du statut nutritionnel (à supposer que celui-ci soit avéré), en suggérant qu'on aurait observé beaucoup plus de pathologies si la stratégie nutritionnelle n'avait pas été adaptée.

La stratégie nutritionnelle :

Si bon résultat il y a, il est possible qu'il soit dû au moins en partie à la stratégie nutritionnelle menée au premier semestre 1999.

La situation de départ :

La restauration est confiée à la société Sodex'ho.

L'étage disposait d'une salle à manger d'environ 150 m2.

Les résidents prenaient leurs repas de la manière suivante :

Petit déjeuner :

Il était servi aux alentours de 8 h 15 ; On retrouvait en salle les sujets valides et ceux des sujets dépendants dont les soins de base étaient achevés à cette heure. Les autres étaient servis en chambre.

Déjeuner :

Il était servi en salle vers 12 h 15, pour tous les résidents, sauf occasionnellement les malades.

Goûter :

Il était servi entre 15 h 30 et 16 h, le plus souvent en salle.

Dîner :

Le dîner était servi vers 18 h 30, en salle pour la majorité des résidents, en chambre pour ceux qui étaient déjà couchés.

On ne manquera pas de constater que le problème classique du délai entre le dîner et le petit déjeuner n'était pas résolu, l'amplitude étant de 13 h 30.

Service :

Le service était assuré par l'ensemble de l'équipe, soit 4 personnes.

Surveillance :

En tant que de besoin les résidents étaient surveillés :

  1. Surveillance pondérale : tous les mois, de manière systématique.

  2. Surveillance alimentaire : une fiche était tenue, avec plus ou moins de régularité, pour les résidents chez qui une anorexie avait été repérée ;on y mentionnait le niveau global de consommation du repas (de 0 à 4).

Compléments :

Sur prescription médicale, on utilisait :

  1. Un complément hypercalorique : Nutricrémal®.

  2. Un complément hypercalorique et hyperprotidique : Nutridoral®.

  3. Rarement des perfusions sous-cutanées d'acides aminés Totamine®.

  4. Tout aussi rarement un produit réputé orexigène et anabolisant : Cétornan®.

Les modifications introduites :

Menus : 

L'équipe de cuisine a travaillé sur les menus.

Jusqu'alors la conception des menus était guidée par les trois principes suivants :

  1. Nécessité de varier les goûts en introduisant des aliments inhabituels (maïs, soja).

  2. Nécessité de respecter les équilibres alimentaires (règle des cinq composants).

  3. Surveillance étroite des apports en acides gras saturés, en glucides d'absorption rapide, en sodium.

La décision a été prise de réduire les régimes spécifiques au minimum. A ce jour, aucun résident ne suit de régime particulier ; un courrier a été adressé aux familles pour les informer de cette politique. En ce qui concerne les diabétiques, les mesures prises se sont bornées a ajouter systématiquement un glucide d'absorption lente à tout apport de glucide d'absorption rapide, et éventuellement à contrôler la glycémie post-prandiale d'un repas jugé suspect.

Dans le même temps, il a été décidé d'abandonner la règle des cinq composants, qui n'est maintenue que sur la semaine, et de réintroduire les aliments riches en acides gras saturés, notamment les charcuteries. Le nouveau principe est : " Un repas pas équilibré qu'on mange est plus équilibré qu'un repas équilibré qu'on ne mange pas ".

L'équipe de cuisine a établi un relevé des mets que les résidents n'aiment pas. Cette liste a fait l'objet d'une étude systématique, et des modifications de préparation ont été décidées, avant de réintroduire ces mets. Les modifications ont porté principalement sur :

  1. Les techniques de râpage (crudités).

  2. Les assaisonnements.

  3. Les temps de cuisson.

La réintroduction a le plus souvent été couronnée de succès.

D'une manière générale, les assaisonnements ont été relevés, notamment en ce qui concerne les herbes et les épices. Toutes les tables ont été pourvues de salières et de poivrières.

Récemment le vin a été réintroduit ; cette mesure a été financée par l'abandon de l'eau minérale.

Les aliments sont distribués en vrac dans des chariots chauffants. En vue d'améliorer la qualité des denrées fournies, il a été décidé :

  1. Que l'enlèvement des chariots se ferait à heure fixe, de manière à préserver la température de service.

  2. Que le contenu de chaque chariot serait contrôlé avant enlèvement, dans le but de limiter les erreurs.

L'aménagement de la salle :

Une seconde salle a manger a été créée dans une autre zone de l'étage. Cette salle à manger comprend 16 couverts, soit le tiers des résidents. Le téléviseur, qui est comme dans la quasi-totalité des maisons de retraite, allumé en permanence, y a été transféré ; les résidents déplacés sont majoritairement autonomes.

Le résultat de ces mesures a été la réduction du bruit dans les deux salles ; l'impression de surpopulation s'est trouvée réduite. D'une manière générale une ambiance de calme a été introduite.

Le service :

Les horaires de service ont été légèrement modifiés, surtout en ce qui concerne le petit déjeuner, qui est désormais servi à 7 h 30, le plus souvent en chambre. Ceci réduit l'amplitude du jeûne nocturne et permet une meilleure organisation des soins de base. Le résultat global est une limitation du stress des soignants, et une meilleure qualité du service de midi.

Jusqu'ici il était courant de distribuer l'ensemble du repas simultanément, parfois dans la même assiette. Il a été décidé de servir les plats un par un, en s'imposant de respecter un temps suffisant entre les plats, et en proposant systématiquement une seconde ration. Paradoxalement le temps global de service n'a été que peu augmenté.

Un effort particulier a été consenti quant à la surveillance des apports : l'équipe a été pourvue de cuillers doseuses pour le plat principal, la dose usuelle correspondant à 1 cuiller de composants animaux plus 2 cuillers de composants végétaux. Naturellement une part d'interprétation en plus ou en moins était laissée au soignant, mais la technique lui permettait de quantifier cette modification et d'une manière générale de prendre conscience du fait que le service est un acte de soin.

En fin de service, on procédait à une surveillance des sorties : un contrôle systématique du contenu du chariot (nourriture non distribuée) était effectué en cuisine, tandis que l'équipe soignante notait le contenu des poubelles (nourriture non consommée). Il est très vite apparu que la quantité globale des restes était en forte diminution.

La circulation de l'information :

Un difficile combat a été mené pour organiser les échanges d'information entre l'équipe de cuisine et l'équipe soignante. D'une manière générale l'information consistait dans :

  1. La rédaction quotidienne d'une fiche de commande des repas, où étaient spécifiées les particularités (menus hachés, mixés, dégoûts alimentaires).

  2. De nombreuses récriminations adressées latéralement aux médecins ou à l'équipe de direction.

  3. Quelquefois des échanges d'équipe à équipe, généralement vifs.

Il a été décidé que l'équipe soignante était responsable de la création d'information : toutes les critiques, positives ou négatives, toutes les suggestions, tous les incidents, sont notés sur la commande de menus du lendemain. D'autre part un membre de l'équipe cuisine passe systématiquement dans le service pour donner les réponses et discuter des problèmes rencontrés.

On doit à la vérité de dire que c'est là un des points sur lesquels la résistance des deux équipes a été la plus vive.

Par ailleurs des points systématiques ont été faits avec le Médecin-Chef et les équipes.

La question des supplémentations :

Les compléments alimentaires de l'industrie pharmaceutique ont été pratiquement éliminés, et la stratégie nutritionnelle a été complètement repensée.

On a d'abord étudié le statut nutritionnel des résidents, ainsi que leur manière de consommer les repas, ce qui a abouti à un classement implicite :

  1. Sujets non dénutris mangeant normalement (ou trop) : pas de mesure spécifique.

  2. Sujets non dénutris mangeant peu : surveillance.

  3. Sujets dénutris mangeant normalement : augmentation de la ration.

  4. Sujets dénutris mangeant peu : investigation médicale et modification de la structure des apports.

On a mis en place une procédure d'enrichissement de l'alimentation, par l'adjonction de poudres hypercaloriques et hyperprotidiques. Cette mesure a été prise systématiquement dans les potages. D'autre part une liste des sujets dont l'alimentation devait être enrichie a été dressée. Ces résidents recevaient des plats dans lesquels les sauces avaient fait l'objet d'une adjonction de poudre. L'enrichissement ainsi réalisé correspondait à 500 kCal/j, mais il est vite apparu que cette technique se heurtait à des obstacles, notamment en ce qui concerne l'aspect, le goût, et surtout l'odeur, des mets servis. L'enrichissant idéal reste sans doute à trouver. Bref cette technique a été rapidement limitée, puis abandonnée ; il reste à prouver que l'abandon pur et simple était justifié.

Une stratégie d'en-cas systématiques a été développée : de même que chaque résident était incité à boire plusieurs fois par jour, de même il se voyait proposer en dehors des repas des collations à base de fromages, de crèmes desserts, de gâteaux. L'équipe était ravitaillée en en-cas, le stock étant vérifié et renouvelé tous les trois jours. De la même manière, l'eau était remplacée par des jus de fruits ou des sirops.

Actions diverses :

La stratégie globale des soins n'a pratiquement pas été modifiée. Tout au plus les résidents dont la VS était supérieure à 80  mm ont fait l'objet d'un bilan minimal comportant examen clinique, électrophorèse des protéines, d-dimères, IDR, radio thoracique et échographie abdominale. En cas de négativité, et si l'âge était supérieur à 85 ans, une corticothérapie était débutée, puis ajustée sur la dose minimale nécessaire pour maintenir la VS au-dessous de 30 mm.

Le résultat a été :

  1. Aucune pathologie identifiée par ce bilan.

  2. Amélioration spectaculaire de l'état nutritionnel, de l'albuminémie, de l'anémie, de l'état général.

  3. Aucun effet secondaire à six mois ; aucun abandon de traitement.

La politique de réduction systématique des prises de médicaments a été poursuivie. Cette réduction a porté principalement sur les psychotropes, les diurétiques, les oxygénateurs cérébraux, les anti-inflammatoires non stéroïdiens. A ce jour les AINS et les oxygénateurs cérébraux ont été totalement éliminés ; 16% des résidents prennent des hypnotiques, 11% des neuroleptiques ou des tranquillisants.

On a tenté de limiter l'usage des fauteuils roulants : les résidents sont systématiquement assis sur des chaises en vue de lutter contre la désadaptation posturale (le nombre de chutes d'une chaise est de 1 pour la période considérée) ; un seul résident est attaché sur sa demande. La marche est systématiquement encouragée.

La suite :

Il n'est pas facile de prévoir la suite d'une telle action : les pesanteurs sont telles que le plus probable est le retour progressif à l'état antérieur. Il est probable d'ailleurs que des dérapages se sont déjà produits.

La résistance des équipes au changement est en effet particulièrement vive dans ce domaine. On peut regrouper les causes de cette résistance en deux types de rubriques :

  1. La nécessité d'aller mal : le travail de soignant est particulièrement pénible, et il faut trouver les moyens de vivre avec cette pénibilité.

    1. Le premier moyen est l'obsession de la dureté physique : nous avons observé que les toilettes sont faites avec un souci de la perfection dont l'inconvénient principal est le surcroît de fatigue, accessoirement la perte de temps ; nous avons été longs à comprendre que les soignants ne savent pas vivre sans cette fatigue, et qu'ils ont tout à la fois un sentiment de culpabilité quant ils ne sont pas épuisés et un sentiment de fierté quand ils le sont.

    2. Le second moyen est l'intérêt des conflits, qui a déjà été mentionné plus haut.

  2. Les idées préconçues. Ceci se retrouve dans tous les corps de métier, et à tous les niveaux hiérarchiques des professions de santé. Outre la banalité du phénomène dans l'esprit humain, il semble que le fait de mettre en évidence le caractère reçu d'une idée aboutisse à déstabiliser profondément le soignant, qui éprouve le sentiment d'être accusé d'avoir jusqu'ici mal travaillé. Or ces idées préconçues sont particulièrement redoutables en matière de nutrition : l'aide-soignante qui soulève le couvercle du chariot, flaire le contenu et lance à la cantonade : " Ça m'étonnerait qu'ils aiment " a toute chance d'avoir raison.

Un exemple caricatural de cette résistance est celui des repas hachés. Jusqu'au début de l'étude, le plat haché était invariablement le jambon-purée. On a donc proposé de remplacer ce plat unique par le plat du jour servi haché. D'un côté il faut admettre que certains mets sont difficiles à servir hachés (bouchés à la reine, couscous). De l'autre il faut observer que nous avons eu toutes les peines du monde à obtenir une modification des comportements en la matière, cette modification n'étant obtenue que par une éviction totale et réglementaire du jambon-purée. On croit remarquer que cette éviction est de moins en moins observée.

On étudie en ce moment :

  1. Les moyens de pérenniser les résultats de l'entreprise.

  2. Les moyens de l'étendre à l'ensemble de l'établissement.

  3. Les moyens d'investir d'autres aspects du problème :

    1. Amélioration de l'état bucco-dentaire, et révision de la liste des résidents en alimentation hachée.

    2. Amélioration de la vaisselle (taille des assiettes notamment).

    3. Amélioration de la présentation des plats.

Au total nous ne méconnaissons pas que la révolution essentielle est celle de l'état d'esprit des soignants, qui sont parvenus à considérer l'alimentation comme un acte de soin essentiel.


annexe

Note de service publiée en début d'étude

Stratégie nutritionnelle, 1er étage

En vue d'améliorer l'état nutritionnel des résidents, la stratégie suivante est mise en place.

Les surveillances alimentaires :

La mise en surveillance alimentaire est décidée :

Il faut la mettre en place devant :

  1. Toute altération de l'état général.

  2. Toute infection respiratoire ou urinaire.

  3. Les suites de chirurgie.

  4. Toute diminution des apports.

  5. Tout amaigrissement.

La surveillance alimentaire ne peut être effectuée sans connaître la manière dont l'assiette a été remplie.

Une assiette de plat principal est normalement remplie avec 1 cuiller-dose de viande et 2 cuillers-doses de garniture. Si ces doses ne sont pas données, le soignant qui fait le service doit le signaler.

On doit noter que l'entrée représente 1, le plat garni 2 et le fromage-dessert 1 ; un résident qui a mangé la moitié de son plat et tout son dessert est donc 2.

Conséquences de la mise en surveillance alimentaire :

La mise en surveillance alimentaire entraîne obligatoirement :

L'enrichissement des menus :

Le menu de base est à environ 2 000 kCal.

Les soignants disposent de trois armes :

Les en-cas :

Ils sont donnés largement aux résidents qui le demandent, à ceux qui n'ont pas aimé le menu servi, à ceux qui étaient à l'extérieur au moment du repas ou de la collation. Ils sont également proposés à 10 h, à 17 h.

On ne doit jamais se demander si le résident va moins bien manger le repas suivant. La règle est : toujours autant que les Boches n'auront pas.

Ces en-cas peuvent être :

  1. Une compote : 100 kCal.

  2. Un verre de jus de fruits : 60 kCal.

  3. Un yaourt : 120 kCal.

  4. Un biscuit : 80 kCal.

  5. Un fromage-pain : 180 kCal.

C'est pour ça que vous grossissez, est c'est comme ça qu'il faut les faire grossir. Il faut les utiliser largement (notamment en remplaçant l'eau par du jus de fruits). Attention : si le résident consomme habituellement plus de 200 kCal d'en-cas, c'est qu'il faut passer aux menus enrichis.

La cuisine fournit des réserves d'en-cas pour 3 jours. A cette date le stock est renouvelé systématiquement. Rien ne doit être gardé au-delà de cette limite. Il appartient aux équipes d'évaluer leurs besoins.

Les menus enrichis :

Sur demande, la cuisine prépare le menu du jour avec addition de poudres hypercaloriques représentant une suralimentation de 25% (500 Kcal) sans augmentation de volume du repas. On atteint ainsi 2 500 kCal.

Un vendredi sur deux, le médecin dresse la liste des résidents devant avoir des menus enrichis. Cette liste reste dans le service. Les commandes de menus sont modifiées et comportent une case " menus enrichis ". Les portions sont servies avec les mêmes doses.

Tous les résidents en menus enrichis sont pesés une fois par semaine.

On peut donner des en-cas aux résidents placés en menus enrichis.

Le malade en menu enrichi y reste tant que la prescription n'a pas été modifiée.

Les menus hypercaloriques :

Il est possible de placer certains résidents en alimentation hypercalorique.

L'alimentation hypercalorique est un menu spécial à six repas. Il atteint 3 000 kCal.

Ce mode d'alimentation est mis en place sur prescription médicale. Il sera détaillé à mesure des besoins. Sa mise en place est exceptionnelle au 1er étage.

Cas particuliers :

Il n'y a pas de cas particuliers.

Le diabétique dénutri peut être nourri en menus enrichis. La seule règle qui le concerne est de ne pas donner de sucre rapide (voir fiche " Traitement du diabète insulino-nécessitant ") sans sucre lent associé.

L'hypertendu, l'insuffisant cardiaque, peuvent être mis en menus enrichis.

On peut être gros et dénutri.

Les compléments alimentaires :

Le but est de supprimer totalement les compléments alimentaires.

 


Ecrire à l'auteur du site : Bernard Pradines

Retour à la page d'accueil