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texte mis en ligne le 30 septembre 2003

 

Euthanasie : la position de Michel Cavey à la faveur

 de l'affaire Vincent Humbert

Michel Cavey est médecin gériatre :

Docteur Michel Cavey
Service de soins de suite
et de réadaptation
Centre Hospitalier
de l'Agglomération Montargoise

michel.cavey@laposte.net

 


 

Une mère vient d’essayer de mettre fin aux jours de son fils handicapé. Cela pose le problème de l’euthanasie.

Une fois de plus il faut donc en reparler.

Une remarque d’abord : dans les discussions qu’on entend actuellement on suppose résolus un certain nombre de problèmes préalables. Par exemple on suppose que l’équipe médicale responsable de ce patient n’a pas envisagé la solution du sommeil induit ; on tient pour acquis que la volonté du malade est exactement celle dont sa famille est persuadée ; on suppose même que les réanimateurs qui sont actuellement en charge du patient n’ont aucun argument pour procéder à ce qui ressemble à de l’acharnement thérapeutique. Plus embarrassant encore, on ne se demande pas pourquoi la mère de ce patient a commis autant d’erreurs tactiques : elle serait mieux parvenue à ses fins en procédant avec discrétion, par exemple en n’attendant pas le jour de la sortie du livre écrit par le malade pour mettre son projet à exécution ; à tout le moins elle a été mal conseillée.

Mais tout ceci dit, il reste un problème que nous connaissons tous. Il convient d’en rappeler quelques éléments.

La première chose qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il y a des problèmes sans solution.

Lorsque les humains se trouvent face à un problème, ils peuvent le résoudre comme un cas isolé ; mais le plus souvent ils optent pour se donner une loi. Or il est dans la nature de toute loi (cela se démontre aisément, peu importe ici) d’avoir un domaine de validité. Un peu comme les planisphères la loi est de moins en moins juste à mesure qu’on s’éloigne de son centre. Et à ses limites la loi est carrément et nécessairement injuste ; toute loi crée ses propres exceptions. Si d’autre part on veut résoudre le problème de ces exceptions, on ne peut le faire qu’en écrivant une loi spécifique, qui ne manquera pas d’avoir son propre domaine de validité, engendrant donc ses propres exceptions, et ainsi de suite ad infinitum. La seule solution pour éviter les exceptions est de traiter au cas par cas, ce qui est rarement possible et suppose l’abolition de la loi.

Il n’est donc pas étonnant que l’on se trouve, comme c’est le cas aujourd’hui, devant des problèmes insolubles. Il est par contre absurde de réclamer une loi pour les traiter.

La question demeure ensuite de savoir ce qu’il faut faire des problèmes qui n’ont pas de solution.

Il faut avant tout les reconnaître comme tels. Ensuite il faut trouver une solution, la moins mauvaise possible, en n’oubliant jamais qu’on a violé un principe, en refusant d’en faire jurisprudence et en essayant à chaque fois de limiter les conséquences.

Dans le cas particulier de ces euthanasies compassionnelles, le conflit est entre le désir, compréhensible, sain, légitime de cette famille de tuer l’un des siens et la nécessité sociale de ne pas y faire droit. Il s’agit de trouver une issue à ce conflit.

Donner une solution théorique reviendrait à formuler une loi ; restons-en donc au cas qui est actuellement en débat. Si les informations dont nous disposons sur cette affaire sont exactes, et je n’en suis pas sûr, à titre strictement personnel je dirais ceci :

- Si j’étais le malade, il est probable que je réclamerais la mort.

- Si j’étais la mère du malade, il est probable que j’agirais comme elle l’a fait.

- Si j’étais le médecin en charge de ce malade, il est probable que je m’y opposerais.

- Si j’étais le réanimateur en charge de ce malade, il est probable que je ne le réanimerais pas (rappelons que la loi sur la non-assistance à personne en danger condamne le fait de ne pas apporter « des soins appropriés » mais se garde bien de dire quels soins sont appropriés).

Mais il me semble aussi, quelque dure que soit cette parole, que si l’euthanasie est un acte d’amour elle doit avoir un prix. Elle a un prix humain colossal, car ce n’est pas rien que de tuer son enfant. Mais la société fera prudemment en y ajoutant une double peine : que le responsable de cet acte soit jugé, et qu’il soit condamné ; l’acte d’amour par lequel je tue un autre est plus convaincant si je sais que, loin d’être acquitté aux assises, j’aurai à subir une peine, modeste eu égard à mes motivations, mais suffisante pour dissuader d’autres qui seraient moins affermis dans leur conviction.


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