texte mis en ligne le 2 octobre 2003

mise à jour (de forme) le 24 août 2007

LA LUTTE CONTRE LES EFFETS DE LA CANICULE : REVE ET REALITE

selon Philippe Müller et Michel Cavey

Philippe Müller est médecin gériatre :

Docteur Philippe Müller
Hôpital Saint-Jean, Boulevard Loreau, 45250 Briare

p.muller@hopital-saint-jean.fr

Michel Cavey est médecin gériatre :

Docteur Michel Cavey
Service de soins de suite
et de réadaptation
Centre Hospitalier
de l'Agglomération Montargoise

michel.cavey@laposte.net

 


La récente vague de canicule a fait des milliers de morts. On ne saura jamais combien, car il a été décidé de ne recenser que les coups de chaleur, faisant ainsi l’impasse sur la grande masse des décès, qui, si on renonce à comptabiliser tous les cas dont la chaleur sera venue aggraver la pathologie, se sont produits par déshydratation. Mais peu importe : il y a eu beaucoup de morts, et la moitié sont morts en institution.

Y avait-il un moyen de limiter l’hécatombe ?

L’hôpital saint Jean de Briare est un établissement gériatrique assimilable à un hôpital local de 140 lits répartis en :

15 lits de médecine.

20 lits de soins de suite.

45 lits de long séjour.

60 lits de section de cure médicale.

Comme tous les autres l’établissement a été confronté à la canicule ; comme tous les autres il dispose d’une dotation en personnel insuffisante pour mener à bien ses missions. Nous souhaitons ici mettre en parallèle ce qui a été proposé et ce qui nous avons fait.

CE QUI A ETE PROPOSE :

Tous les établissements d’hébergement ont reçu par fax une liasse d’informations relatives à la canicule ; il y avait dedans un document anonyme donnant des conseils aux soignants ; dix commandements, une manière de Tables de la Loi. Il vaut la peine d’envisager ce que donnerait leur mise en pratique dans un établissement comme l’hôpital saint Jean.

1. Faire boire de l’eau de façon répétée.

Cette consigne est de bon sens. Il est dommage que simplement le ou les auteurs de ce texte aient oublié d’en évaluer les modalités d’application. Il y a en effet quatre sortes de personnes âgées en institution :

Celles qui n’ont pas besoin d’aide.

Celles qui ne veulent pas boire.

Celles qui ne peuvent pas boire.

Celles qui ne savent plus boire.

Et les premières sont fort loin d’être les plus nombreuses. Les autres ont besoin qu’une personne physique exerce une action pour qu’elles absorbent de la boisson : incitations répétées, organisation des objets nécessaires, surveillance des fausses routes, etc. Dans ces conditions de nombreux gériatres estiment qu’il faut en moyenne une minute pour faire boire un verre d’eau à une personne âgée en institution .

Or il est probablement inutile de mettre en place quelque stratégie que ce soit si l’objectif n’est pas de faire boire par ce moyen un litre supplémentaire par jour. En gros, si l’on peut faire avec moins c’est qu’on n’a pas réellement de problème d’hydratation ; ou pour le dire autrement si en période de crise cet objectif n’est pas tenu, alors ne survivront que ceux qui auraient survécu de toute façon.

Il résulte de cela que le temps moyen pour faire boire une quantité suffisante de liquide supplémentaire aux résidents de la maison de retraite de l’hôpital Saint Jean est de 14 heures par jour.

2. Mettre des tenues légères, amples, éviter toute couverture.

Ce sont d’excellentes mesures. Elles se heurtent au fait que la personne âgée, en institution mais aussi à domicile, a sa garde-robe, et qu’il est tout sauf réaliste dans une lingerie hospitalière, quel que soit le dévouement de la préposée, de mettre en pratique de telles préconisations : on fait avec ce qu’on a, sans parler de ce que la personne âgée refuse de porter. Mais on présume que toutes les maisons de retraite recevront sous peu une dotation de boubous et de djellabas.

3. Mettre un ventilateur dans un environnement proche.

C’est là encore une très bonne idée. Il en aurait coûté à notre établissement à peu près € 5 200, à supposer qu’on en trouve en magasin ; pour une petite structure cela représente une dépense. Passons sur ce point. Le plus gênant est l’idée même.

Car un ventilateur n’a jamais refroidi quoi que ce soit. Le ventilateur brasse l’air, il répartit les calories de façon homogène, il ne fait rien d’autre. Si l’auteur de ce document avait eu la curiosité de placer un thermomètre dans la pièce ainsi ventilée il n’aurait pas manqué de constater qu’il ne constatait rien. La thermodynamique est une discipline désespérément simpliste.

Le ventilateur ne fait rien d’autre que :

Donner une sensation de fraîcheur par la mise en mouvement de l’air. Mais ceci revient à supprimer l’un des signaux d’alerte.

Favoriser l’évaporation de la sueur. Mais ceci revient à favoriser la transpiration, et donc la déshydratation, impliquant un effort supplémentaire sur les boissons.

Renouveler l’air à proximité immédiate du corps, ce qui à la marge peut favoriser le refroidissement.

4. Vaporiser de l’eau sur le malade.

Ce procédé utilise le fait que l’évaporation de l’eau est une grosse consommatrice de calories (à 100° C il faut 538 Cal pour évaporer 1 g d’eau). L’idée de la vaporisation est séduisante en ce qu’elle fait évaporer de l’eau apportée, économisant ainsi la sueur du malade. Encore faut-il là aussi vaporiser suffisamment pour créer autre chose qu’une trompeuse sensation de fraîcheur. Un brumisateur coûte € 6,35, une séance rapide prend en moyenne 45 s, il en faut 20 par jour  à cette moitié des malades de maison de retraite qui sont hors d’état de le faire eux-mêmes, soit 14 h 15 mn par jour.

5. Humidifier l’air avec des linges mouillés étendus dans la chambre, pour les malades atteints de pathologies pulmonaires.

L’idée est ici de permettre une fluidification des sécrétions par humidification de l’air inspiré. C’est judicieux de ce point de vue, mais avec deux réserves :

En période de canicule cette humidification des linges prend deux minutes et doit être renouvelée au moins toutes les heures, soit pour les dix malades concernés à l’hôpital saint Jean 8 h.

L’humidification de l’air rend la transpiration plus difficile, aggravant les risques de coup de chaleur.

6. Ne pas exposer les malades au soleil.

Le gériatre, qui sait quel tribut les cols du fémur vieillissants paient à cause du refus de leurs propriétaires de voir le soleil, se contente d’accentuer les ridules autour de ses yeux rieurs.

7. Fermer les volets la journée, ouvrir les volets et les fenêtres la nuit.

C’est bien la seule mesure applicable sans difficulté à l’hôpital saint Jean, dont les chambres de la section hébergement sont toutes munies de volets à commande électrique. Mais si on considérait le service de médecine-soins de suite, une telle opération suppose 24 mn pour ouvrir tous les volets et autant pour les fermer. Il faut considérer d’autre part que cette opération, qui paraît simple, demande en réalité quelque minutie : fermer des volets revient à mettre une personne âgée dans le noir, ce qui est l’un des meilleurs moyens connus pour :

Aggraver une confusion mentale.

Parfaire la désorientation d’un dément.

Et d’une manière générale faire tomber son semblable.

Il faut donc penser à allumer la lumière, vérifier la panne du fluo, etc. C’est du détail ; mais, précisément, comme le disent en substance nos gouvernants, les gens qui sont morts sont morts de détails.

8. Faire prendre des douches ou des bains à 2°C en-dessous de la température corporelle.

On éprouve quelque jubilation à imaginer le spectacle de son équipe d’aides-soignantes, ayant opportunément retrouvé au fond d’un placard où il gisait oublié le thermomètre jaune en forme de pirogue qui leur servait pour baigner bébé, prenant la température de la vieille dame, puis celle de la douche . Et si, du moins pour ceux qui y croient encore, la température de la vieille dame est rapidement prise avec un thermomètre auriculaire (qui cependant demande un investissement non nul en termes de temps passé), la douche, elle, a beau ressembler à un téléphone, elle n’a pas d’oreilles pour autant. Bref cette opération de prise de température coûte encore deux minutes, et on ne parle pas des réglages. C’est de détails dont on parle. Mais chaque détail se paie, car rafraîchir une personne âgée avec des douches suppose qu’on en donne plus d’une. Et à qui se rirait de ces calculs d’épicier on rappellera que le temps moyen estimé nécessaire pour faire la toilette d’une personne âgée en institution est de 20 minutes, alors que le temps moyen réellement disponible, par exemple à l’hôpital saint Jean, est de 11 minutes ; la proposition de l’auteur est de rogner 20% de ce temps pour mesurer la température d’une eau.

Quant aux bains on n’en parlera même pas : donner un bain, c’est mobiliser deux soignants pendant 45 mn.

9. Favoriser si possible la mobilisation des personnes (mais sans effort soutenu).

Persévérons, au risque de lasser : il s’agit du projet de faire bouger des personnes âgées. Quiconque a un peu travaillé en institution voit immédiatement ce que cela signifie ; à ne considérer que les personnes à mobilité limitée (soit 42% de l’effectif en comptant très strictement), cela représente 2 fois 10 minutes par personne et par jour, soit un total de 15 h par jour ; on fait cadeau du temps passé à plaider pour que la vieille dame valide aille faire quelques pas.

10. Prendre la température toutes les 6 heures.

Comme cela paraît simple !

En s’organisant bien, cela représente donc pour l’hôpital saint Jean 4 x 105 x 0,5 = 3 h 30 par jour, à condition que la soignante ne perde pas son temps à noter le résultat. On observera qu’il y a une prise de température au beau milieu de la nuit.

DISCUSSION :

Les défauts d’un tel document ont beau être évidents, il faut sans doute les souligner encore :

1. Le manque de réalisme dans les objectifs :

Il est simple de réfuter la critique ci-dessus : à l’évidence nous exagérons, et si l’Etablissement ne peut pas tout faire du moins peut-il en faire un peu. C’est là une argumentation extrêmement dangereuse : la personne âgée a des besoins ; ces besoins, on les satisfait ou non, mais il faut ce qu’il faut .

C’est là une des choses les plus difficiles à faire entendre à une équipe soignante : quand, à force de patience, d’attention, d’amour l’aide-soignante a réussi à faire prendre deux pipettes d’eau, ou une demi-compote, elle a certainement fait un merveilleux travail relationnel mais elle n’a en rien reculé l’échéance de la mort. De ce point de vue elle a tragiquement perdu son temps, les demi-mesures ne font pas des demi-décès mais des décès tout court. C’est bien ainsi que se pose le problème de l’eau gélifiée : on a déjà réalisé un exploit quand on a pu en donner deux ramequins à toutes les personnes qui en ont besoin . L’eau gélifiée est irremplaçable dans les centres pour handicapés, dont la dotation en personnel est sans rapport avec celle des maisons de retraite .

2. Le manque de réalisme dans les applications :

Toutes ces recommandations sont frappées au coin du bon sens. Mais il faut savoir de quoi on parle, et à un moment il faut faire les comptes. Pour l’hôpital saint Jean la mise en pratique de ces recommandations implique une surcharge de travail de 55 h 30 mn par jour. Cela signifie 7,5 ETP en poste, soit un peu plus de 18 salariés supplémentaires (l’hôpital emploie environ 120 personnes). Les choses ont un coût. Si le système de santé n’a pas réussi à faire face à la crise, c’est parce qu’on l’a depuis des années privé de toute marge de manœuvre.

Le document étudié ignore tout de la réalité. Il faut avoir de ses mains fait la toilette d’un malade pour savoir ce que pèse, ce que vaut le temps des soignants. Il faut avoir travaillé dans un service hospitalier pour voir avec quelle angoisse ils taylorisent leur travail parce que chaque seconde perdue va leur faire défaut à la fin de la journée. Il faut avoir entendu une  infirmière demander qu’on réduise le nombre de tensions à prendre parce qu’elle ne fait plus face ; et pourtant, quoi de plus simple, de plus rapide que de prendre une tension ?

Cela, le document ne le sait pas. Un peu de réflexion, et surtout un peu de pratique de terrain auraient permis d’éviter ce ridicule.

3. Le mépris :

C’est assurément le plus grave.

C’est mépris que de rédiger ainsi une liste de conseils, c’est mépris que de rappeler aux soignants qu’il faut faire boire les malades. Comme s’ils l’ignoraient ! Comme si les équipes n’étaient pas formées ! La vérité est que si dans les maisons de retraite les soignants ne font pas boire les malades, c’est qu’ils ne le peuvent pas.

Car le drame est qu’on voit venir l’objection : si vous ne pouvez tout, faire, au moins faites-en un peu. Ainsi au XIXe siècle les dames de la bonne société écrivaient-elles des traités de vie pratique à l’usage des filles d’ouvriers. Et on s’étonne que les révolutions soient violentes.

C’est mépris que de leur donner cette avalanche de conseils sans seulement envisager le fardeau que cela représente. On ne saurait mieux dire que le temps du soignant ne compte pas, que son travail n’existe pas.

Le document analysé a une fonction perverse, qu’on espère involontaire : c’est que sur le papier les mesures proposées sont d’une simplicité désarmante. Elles sont si simples que ceux qui ne les appliqueraient pas ne pourraient s’en prendre qu’à eux-mêmes des dégâts ainsi occasionnés. Cette culpabilisation rampante est la pire chose qu’on puisse faire à des soignants, au moment où un document de la même liasse les assure qu’ils sont « l’honneur de l’hôpital ».

Après ce constat, on répugne à analyser la suite du texte, qui traite des mesures à prendre en cas de fièvre :

Entre 37°5 et 40°C il est indispensable de :

Augmenter les boissons.

L’auteur a-t-il déjà une fois dans sa vie essayé de faire boire une personne âgée en détresse ?

Déplacer si possible les personnes vers une pièce fraîche et ventilée.

Quiconque s’est promené dans un hôpital n’a pas manqué de remarquer que, si l’on excepte peut-être les caves des Hospices de Beaune, les hôpitaux sont mal pourvus en pièces fraîches et ventilées ; quant aux personnes âgées à domicile, on ne peut que recommander à l’auteur de passer une matinée avec le SSIAD de son quartier.

Mettre des linges humides et de poches de glace à proximité des membres et de la tête.

Ce sont des techniques classiques. Notons encore qu’elles impliquent un temps passé non négligeable.

On souhaiterait également disposer d’une étude sur l’efficacité du refroidissement des carrefours artériels ; le sentiment de nombreux praticiens est que la température ne baisse guère, peut-être notamment parce que la fièvre augmente la vitesse de circulation ; d’autre part il faut rappeler que si la chaleur de vaporisation de l’eau est de 538 Cal à 100° la chaleur de fusion n’est que de 80 Cal. En dépit des apparences le linge mouillé a donc toute chance d’être plus performant que la vessie de glace.

On note enfin que l’auteur ne donne pas de traitement pour faire baisser la fièvre, et qu’il ne songe pas à mettre une perfusion sous-cutanée.

Mesurer la température buccale toutes les heures.

Si notre auteur savait comme il est difficile dans une petite structure de s’organiser pour respecter un contrat qui semble aussi élémentaire !

Téléphoner au SAMU 15 si la température :

Persiste au bout de 4 heures.

Est supérieure à 40°C.

S’accompagne de troubles de la conscience.

On ne saurait trouver meilleur moyen de faire exploser les SAMU. Mais au fait ce n’est pas certain, car le coup de chaleur est en réalité une urgence. Et l’opinion du gériatre est qu’au bout de quatre heures de coup de chaleur la personne âgée n’aura que faire du SAMU. L’évidence au contraire est que chez le sujet âgé toute fièvre inexpliquée en période de canicule est un dérèglement du thermostat jusqu’à preuve du contraire. Exagéré, sans doute. Mais ni plus ni moins que les conseils qui ont été donnés il y a peu, bien plus vite et plus efficacement, à la France entière lors de l’épidémie de SRAS. Il faut croire que la vie des vieux en institution n’a pas la même valeur que celle des jeunes informaticiens expatriés.

CE QUE NOUS AVONS FAIT :

L’hôpital saint Jean est une petite structure dotée de moyens humains limités et dépourvue de plateau technique. Force nous a donc été de nous adapter et de développer des solutions en rapport avec nos capacités. Au fil des années nous avons mis en place une stratégie de prise en charge des risques liés à la chaleur estivale.

L’environnement :

L’hôpital est un bâtiment de la fin du XIXe siècle. Il n’est pas très bien isolé, et le service de médecine-soins de suite en particulier pose des problèmes difficiles. Dans le service hébergement, il existe des baies vitrées particulièrement redoutables, qui sont cependant munies de stores électriques asservis à l’ensoleillement.

La stratégie de base :

Chaque 1er juin les mesures suivantes sont prises :

La majorité des traitements diurétiques est suspendue jusqu’au 1er septembre. Les médecins rédigent les ordonnances nécessaires. Les infirmiers font vérifier le bien-fondé des exceptions.

L’ensemble des équipes est incité à faire boire les résidents. On lui rappelle :

Qu’il en va de la personne âgée comme de l’enfant : quand le soignant a chaud la personne âgée a très chaud ; quand le soignant a froid la personne âgée a très froid.

Que la seule stratégie efficace serait de proposer un verre toutes les heures de 11 heures à 18 heures.

Que l’apport hydrique convenable est de 1,5 l d’eau par jour, majoré de 500 ml par degré de fièvre et de 500 ml en cas de diarrhée ou de vomissement.

Mais, comme on l’a dit, nous sommes conscients du caractère irréalisable de la tâche ; la principale sécurité est la lucidité. Pour cette raison, et sans négliger, loin s’en faut, la stimulation des boissons, nous mettons aussi en place des mesures systématiques de dépistage et de prise en charge précoce des déshydratations. En somme il s’agit de mettre en acte une répartition des résidents en trois groupes.

Le groupe I est celui des résidents qui peuvent autogérer leur hydratation. Ceux-là n’ont besoin que de conseils.

Le groupe II est celui des résidents en grande difficulté. Ceux-là ne seront sauvés que par le dépistage précoce de la déshydratation et l’utilisation larga manu de la réhydratation sous-cutanée.

Le groupe III regroupe les résidents en situation intermédiaire. C’est ce groupe qu’il est capital de faire boire.

Le meilleur dépistage de la déshydratation reste la pesée. La première année nous avions pesé tous les résidents deux fois par semaine. Il est apparu que c’était une mesure trop pessimiste ;  depuis les équipes dressent la liste des résidents à surveiller, et elles s’organisent pour que chacun de ces résidents soit pesé deux fois par semaine.

On surveille :

1. Les déments.

2. Les sujets sous diurétiques.

3. Les sujets dénutris.

4. Les sujets connus pour boire peu.

Toute perte de poids de 3 kg entre deux pesées est signalée immédiatement. Le sujet est perfusé (1 l de glucosé isotonique  en perfusion sous-cutanée pendant 3 nuits) et a un contrôle ionogramme + protides.

Depuis quatre ans que cette stratégie est en place, aucun résident n’a dû être transféré pour déshydratation estivale, aucun décès n’a été imputable à une déshydratation estivale. Les mesures de prévention sont donc reconduites chaque année, tout au plus avons-nous appris à réduire les diurétiques de manière moins draconienne.

La canicule récente :

La persistance de la chaleur nous a imposé de réorganiser notre travail en prenant des mesures réalistes et performantes. Nous étions aidés dans cette tâche par l’expérience accumulée les années précédentes, et il va de soi que si elles étaient dépourvue de ce background des équipes non préparées auront eu les pires difficultés à rester lucides. Il faut être prêts, et pour avoir une réactivité maximum disposer quand les choses arrivent d’un plan d'action réfléchi d’avance, utilisant des moyens efficaces et ne devenant pas inutilisable après six mois d’hiver.

Il fallait en premier lieu définir les priorités : face à cette crise il y avait trois décisions à prendre :

1. Prendre de la distance vis-à-vis de la réglementation : il va de soi par exemple que les techniques employées n’auraient jamais été validées par un CLIN ; on se consolera en notant qu’au moins les malades ont survécu. Il reste à espérer que le délire sécuritaire qui sur ce point sévit à l’hôpital en sortira un peu affaibli.

2. Faire des choix : les soignants ont dû réorienter leur activité vers ce qui était vital ; en clair cela signifie que les toilettes étaient sommaires, que l’animation n’existait plus, que certains résidents n’étaient plus levés, bref que la qualité du service a diminué. On fera bien de ne pas oublier que cette diminution de qualité les soignants l’ont consentie la rage au cœur.

3. C’est pourquoi la troisième décision aurait dû être de renforcer les équipes ; mais c’était prendre ses désirs pour des réalités.

Ensuite il fallait lutter contre les fantômes. Il suffit d’écouter ou d’observer nos contemporains pour constater qu’ils sont capables de véhiculer une extraordinaire variété d’idées inattendues. C’est ainsi qu’on connaît un centre hospitalier où toutes les équipes soignantes éteignaient les lumières des couloirs à cause du dégagement de chaleur, ce qui ne manquera pas de laisser rêveur quiconque a déjà posé sa main sur un tube fluorescent . De la même manière on faisait à Briare grand cas et grand usage de climatiseurs portables qui pourtant n’avaient que le défaut de ne fonctionner que la fenêtre ouverte ; mais ils étaient considérés comme très efficaces. Ou encore il a fallu expliquer que les ventilateurs ne refroidissent pas. On a vu mettre des glaçons sous les ventilateurs , sans voir qu’à changer les bacs à glaçons et à éponger ce qui se renversait on passait un temps qui eût été mieux employé ailleurs ; la glace est surtout active par voie orale.

La fièvre était détectée largement. Non point quatre mais deux fois par jour ; une liste était dressée des résidents à surveiller, en n’omettant pas les déments déambulants. La seule difficulté était de faire entendre que la fièvre commence à 38°, et qu’il n’y a aucune mesure spécifique à prendre avant.

La réhydratation était organisée :

1. Sélection des résidents les plus à risque, soit tout de même 46 personnes cette année.

2. Recours aux bénévoles, aux visiteurs, aux autres résidents, sans se préoccuper de considérations médico-légales ; en gros les bénévoles ont assuré une vingtaine d’heures de boissons.

3. Pesées répétées ; en fait nous avons vu ce point perdre de son importance au profit d’un signalement beaucoup plus large au médecin des situations inquiétantes.

Dès que la situation n’était pas claire, une réhydratation parentérale était mise en place en sous-cutané. Compte tenu de la perte de sel associée, le soluté de référence ici était le chlorure de sodium isotonique , sauf dans les cas très fréquents où la fonction cardiaque était douteuse, faisant préférer le glucosé. La perfusion était réalisée la nuit, 1 l par nuit pendant 3 nuits ; dans le cas général le ionogramme n’était pas vérifié.

Si la déshydratation semblait engager le pronostic vital à court terme, on avait décidé de poser une sonde naso-gastrique le soir et d’administrer 3 l d’eau du robinet dans la nuit  évitant ainsi une réhydratation intraveineuse chez un patient dont le statut cardiaque était incertain.

La question du refroidissement était plus difficile. En particulier il a presque fallu protocoliser la fermeture des fenêtres, tant ici encore les idées préconçues sont tenaces : il n’est pas facile d’expliquer qu’il faut laisser la chaleur dehors, et qu’un courant d’air chaud ne refroidit pas.

Pour refroidir le patient, le moyen le plus simple et le plus efficace a été de le couvrir d’un drap mouillé, qu’on renouvelait le plus souvent possible. Le drap était directement trempé dans l’eau froide du lavabo ; aucun inconfort n’a été constaté, le temps nécessaire à l’opération était de moins d’une minute et le drap pouvait être remouillé toutes les heures, notamment la nuit. Le seul inconvénient notable était la gestion de l’incontinence dans ces conditions.

En cas de fièvre la prescription d’Efferalgan® était systématique, les soignants étant autorisés à agir sur prescription anticipée. Nous avons laissé aux experts le soin de dire si les antipyrétiques sont utiles ou non en cas de coup de chaleur ; pour notre part il nous a paru que ne pas en donner eût été préjuger de l’origine de la fièvre, ce qui n’avait aucun sens en pratique de masse et risquait d’entraîner des retards susceptibles d’avoir des conséquences insupportables.

 

Du 8 au 20 août, 14 résidents ont dû être perfusés. Il va de soi que toutes ces perfusions n’étaient pas une conséquence de la canicule. 5 de ces patients avaient au moment de la décision une fièvre inhabituelle ; dans trois cas la fièvre ne s’expliquait pas par un syndrome infectieux, et ces trois malades ont guéri ; les deux autres ont succombé : il s’agissait de patients grabataires qui étaient traités depuis quelque temps pour une infection respiratoire rebelle. En somme aucun résident n’est décédé en raison de la chaleur, et aucun n’a dû être transféré dans un autre établissement. La réhydratation par sonde gastrique n’a jamais été nécessaire.

CONCLUSION :

Il semble possible, dans un établissement d’hébergement dépourvu de plateau technique, de promouvoir des moyens simples, réalistes et efficaces pour lutter contre les conséquences d’une canicule.

Cela suppose un travail de longue haleine comprenant :

1. Une formation de tous les personnels ; cela ne s’improvise pas, il faut s’y prendre tôt.

2. Une prise de conscience de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas : la lutte contre la chaleur est une question de vie ou de mort. Elle suppose qu’on passe du temps, et ce temps doit être pris sur d’autres tâches. Il faut donc faire des choix (par exemple la nuit il vaut mieux mouiller des draps que faire des changes…).

3. La rédaction de protocoles adaptés, utilisant des moyens simples et rapides.

4. Une organisation spécifique pour ce problème, en n’oubliant pas, par exemple, de réintroduire les diurétiques à l’automne.

5. La remise en question, à la lumière de l’expérience, des dogmes qui n’ont pas fait leur preuve, et ils sont légion.

6. Une salutaire prise de distance vis-à-vis des prétendues précautions qui n’en sont pas.

7. Les conditions locales n’ont pas permis de mener une action concertée avec le service des cuisines ; il y a là pourtant de nombreuses pistes à explorer.

 Les résultats sont là, encourageants. Notre seul regret dans cette période aura été qu’aucun d’entre nous n’ait pensé à faire livrer une palette de jus de fruits à l’intention des soignants. Car en période de canicule il est tout aussi capital que les soignants boivent, et ils l’avaient bien mérité.


Ecrivez à l'auteur : pour Bernard Pradines

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