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mise en ligne le 21 avril 2000

mise à jour le 15 janvier 2015

Compte-rendu de l'intervention du Dr Gérard de Bataille à Albi le 21 mars 2000

QUELQUES POINTS DE REPÈRE DANS L'ACCOMPAGNEMENT SPIRITUEL DES MOURANTS

1. Qu'est-ce que le spirituel ?

En préalable, afin de pouvoir se situer au niveau du besoin spirituel quant aux besoins d'une personne en fin de vie, il convient de poser le fait que :

- le traitement médical est adapté.

- le contrôle des maladies et symptômes présents ainsi que les besoins fondamentaux (besoins physiques de base et liés aux problèmes de la dépendance) sont pris en compte et pour partie en résolution.

Les soins, en fin de vie, visent au bien-être de la personne dans toute sa plénitude. Il convient donc d'admettre et de respecter les aspects spirituels de la vie humaine, de respecter et de donner également leur juste place aux valeurs fondamentales, spirituelles et religieuses.

"Le spirituel" est beaucoup plus que "le religieux", mais le religieux fait partie de la dimension spirituelle.

Chacun a une dimension spirituelle personnelle qui s'appuie sur son vécu familial, culturel, historique, social, éducatif, support de la recherche du sens donné à sa vie.

Chacun, également, a des aspirations autres qu'organiques (beauté, amour, souvenirs ... ) que l'on peut appeler spirituel dans l'homme, qu'il soit croyant ou non croyant.

L'aspect spirituel de la vie humaine est un facteur d'intégration, susceptible de maintenir ensemble les composantes physiques, psychologique et sociales.

Une définition plus précise du spirituel est délicate, toutefois, compte tenu de ce qui vient d'être évoqué, on peut considérer que le spirituel est ce qui a rapport aux exercices intérieurs dans le domaine de l'acte de la pensée, de l'esprit, et des affects.

Dans l'accompagnement, quand la question du spirituel se présente, certains pensent qu'il s'agit de problèmes vagues, voire difficiles, parfois qui ne les concernent pas.

Or, chacun, présent auprès de l'autre, est interpellé par cette dimension spirituelle. Il faut en tout cas, quelle que soit sa position, que cette question soit posée avec bienveillance, dans le respect total du choix du malade, en ce qui concerne ses propres valeurs, ses croyances. De même, il faut accepter leur droit de rester silencieux à ce propos.

Les accompagnants, pour respecter les croyances des autres et prendre en compte leurs pratiques, n'ont pas besoin d'être en accord avec eux : les non-croyants peuvent contribuer à assurer le bien être et l'intégrité des autres. 

2. L'accompagnement : l'accompagné et l'accompagnant.

Dans l'accompagnement, il s'agit d'un rapport au temps : temps commun, présence - et attente réciproque entre accompagné et accompagnant, des deux quel est celui qui reste, quel est celui qui quitte.

Nous essaierons de définir les points forts : d'une part pour l'accompagné et d'autre part pour l'accompagnant.

2.1. Pour l'accompagné

- L'écoute : laisser advenir l'énoncé total de l'autre : énoncé total, c'est-à-dire l'énoncé verbal et l'énoncé non verbal.

L'énoncé verbal peut être clair mais peut nécessiter souvent la pratique de la reformulation afin de bien percevoir son contenu. L'énoncé non verbal, associé ou non au verbal, s'exprime par le comportement, l'attitude, l'expression, le regard, la position...

Dans l'écoute, il faut savoir repérer le discours et sa situation dans le temps; pour s'adapter et être en phase avec le besoin de l'autre. Dans cette dynamique d'écoute, il est habituel de rencontrer des états qui se manifestent dans un ordre variable et pas forcément successif : le déni, la colère, le marchandage, la dépression, le consentement.

- Le respect

Respect du dire et respect du senti de l'autre ; c'est de lui dont il s'agit. Les risques permanents pour l'accompagnant sont de donner des conseils, de consoler, de se projeter. C'est l'accompagné qui doit avoir l'initiative. Dans cette attitude d'accompagnant, il convient d'être toujours à côté ou en retrait de l'accompagné et de ne jamais le précéder : laisser advenir la parole de l'autre.

- Valoriser le présent.

Savoir se situer dans l'ici et le maintenant, car c'est de ce temps dont il s'agit ... et cependant, le temps continuait d'aller sans s'apercevoir que le monde restait toujours au présent...". Celui qui est pour partir vit ce temps avec une intensité inégalée : c'est une situation au présent. Valoriser le présent, c'est aussi aider à faire des ponts sur les moments existentiels difficiles, douloureux du passé ; savoir aider et favoriser les réconciliations avec soi et avec les autres.

2.2. Pour l'accompagnant :

- Savoir se retirer si l'on n'est pas "choisi".

Cet élément est essentiel et souvent déterminant pour la suite de l'accompagnement. L'accompagné doit être choisi., Ce préalable est essentiel dans la mesure où il conditionne l'avenir immédiat de la relation avec l'autre dans sa qualité et dans son efficacité.

- Savoir d'abord gérer sa propre souffrance.

Devant les risques de fusion, de projection, d'effondrement, il convient d'être au mieux en règle avec sa propre idée de la souffrance et de la mort. Cela n'est jamais acquis, c'est avec l'autre un travail permanent sur soi-même

-Savoir qu'il y a toujours "quelque chose à faire".

Lorsque l'accompagnant s'interroge sur le contenu de son action, s'il ne trouve pas de sens à celui-ci, il convient tout simplement de passer la main en sachant qu'un autre saura faire ce qu'à ce moment, il perd de vue.

- Sa relation avec sa propre mort.

En retour, il convient d'élaborer, de mûrir sa relation avec sa propre mort pour, comme cela a déjà été souligné, savoir gérer sa propre souffrance et l'idée de sa propre mort.

- Porter l'espoir de l'accompagné au-delà de sa vie ;

C'est-à-dire être un témoin vivant maintenant et après : témoigner de sa continuité.

- Apprendre à cultiver l'humilité.

- Être authentique

et ne pas se positionner en termes de vérité ; car chacun est libre d'avoir sa propre vérité. Le respect de la vérité de l'autre nous ouvre à notre propre authenticité.

- La distance affective.

En évitant les transferts, il convient de conserver une dynamique de bonne distance affective; dynamique car réajustement permanent en fonction de l'affectivité de l'autre, ne pas rassurer pour se rassurer, savoir donner de la tendresse sans fusionner.

- Se méfier d'un accompagnement trop fortement idéalisé,

d'une surenchère, qui par sa dimension excessive, ne pourrait se poursuivre dans le temps et gêner l'autre en le faisant passer au second plan.

- Se souvenir qu'accompagner une personne mourante, ce n'est pas la retenir dans la vie, mais que ce n'est pas non plus la pousser vers la mort.

3. Le mourant

Pour l'accompagnant, il convient de repérer des temps et des expressions propres à ce moment intime et unique, susceptibles de l'aider dans l'accompagnement

- Le temps de la mort

Il s'agit d'un temps qui n'est pas forcément suivi du décès, mais durant lequel la mort est une possibilité et appartient au pronostic. Il convient pour l'entourage et pour l'équipe soignante d'identifier ce temps de la mort et de l'exprimer en soulignant qu'il n'est pas la mort. Ce temps de la mort obéit également à une dimension culturelle et historique.

- Le discours de mort.

Le discours de mort, qui n'accompagne pas forcément le temps de la mort, et vice versa, est à identifier. Cela peut être un discours défi, presque agressif, un discours dépressif, un discours en relation avec un vécu de perte d'estime de soi, un discours qui peut être un constat sur le vécu, un discours de signalisation par rapport aux stades du mourir... Il existe donc de multiples expressions du discours de mort, que chaque accompagnement nous révélera et nous mettra.

Le vécu de chacun, le nôtre, celui de l'autre est unique. Si l'on ne peut toujours en transmettre le sens, on peut retenir une "ambiance", une "éducation", un rappel de notre finitude longtemps repoussée, exprimé au travers de ce discours.

A travers ce discours de mort également, il convient de valoriser l'être plutôt que l'agir. Chez quelqu'un qui, tout au long de sa vie, a culturellement plutôt privilégié l'agir que l'être, nous pouvons nous situer en pensant : "ru né sers à rien.... mais cela nous fait quelque chose que tu existes."

- Temps de révélation

entre l'accompagné et l'accompagnant, moment psychologique et affectif intense où les émotions doivent s'exprimer mais également se maîtriser car l'autre attend toujours de l'autre.

- Aider à faire vivre le désir

qui n'est pas le désir de quelque chose. Vivre c'est encore désirer et non pas investir forcément. Aider l'accompagné à faire le deuil de ce qu'il désire mais qu'il ne peut pas toujours réaliser.

4. Le besoin de reconnaissance

Ce besoin est ici d'autant plus fort qu'il n'y a pas les éléments habituels justifiant la reconnaissance (I'activité professionnelle, les relations familiales et inter familiales...)

- La dignité de l'homme.

Je suis digne parce que j'existe, en insistant sur le fait que j'existe sur le mode qui est le mien : dément, comateux...

- Identification et attente réciproque dans une relation qui se veut et se désire authentique : il s'agit d'une reconnaissance mutuelle. Cet élément a déjà été abordé plus haut mais il n'est pas inutile de rappeler combien l'authenticité de la relation est une attente constante dans le cadre de la souffrance et de la fin de vie.

- A travers le bilan de vie, l'accompagnant peut aider dans les nécessaires réconciliations pour mourir en paix : pardonner ou être pardonné, en relation avec certains événements, permettre et aider à évoquer également les moments de bonheur ; se réconcilier avec l'existence, reprendre ses options de fond (vérification ... ), se Libérer des culpabilités, qu'il y ait faute ou pas, retrouver des solidarités par rapport à l'environnement, à la sensibilité, croire en la continuité (je meurs mais la vie continue), se séparer dignement, laisser une image positive...

- Dans le temps de la mort, le temps tend à se confondre avec l'espace (distance entre maintenant et la projection dans le moment de la mort) ; cette proximité vécue du temps et de l'espace est, semble-t-il, un trait commun aux événements importants de la vie, élément dont il faut tenir compte dans l'accompagnement pour éviter de commettre une faute qui consisterait en une référence au temps ou à l'espace, en discordance.

- Bien situer la place et le rôle de chacun, famille, soignants, amis, personnes du culte... Cette mise en place doit être régulièrement évaluée ; l'accompagné doit pouvoir en permanence identifier son accompagnant d'autant plus que ses capacités sont parfois affaiblies et qu'il convient toujours d'être authentique. Par ailleurs, lorsque- le rôle de chacun est bien défini, la qualité de l'acte posé, celle du témoignage recueilli l'est alors dans les meilleures conditions.

- Aider à valoriser le regard sur soi-même, l'estime de soi dignité et respect de l'autre, liés à son existence même.

- La religion.

Elle est un des éléments du spirituel par rapport à un engagement existentiel majeur et particulier de reconnaissance ; il convient de respecter ce choix (croyant ou non croyant, croyances différentes ... ), demander si la religion, une philosophie ou Dieu a une importance et si oui, s'en faire exposer une description simple, évoquer également la participation ou non aux pratiques religieuses ou rituelles de façon habituelle.

S'informer également si la maladie a pu modifier ou non ses propres croyances, ses pratiques religieuses, ses rituels...

Tenir compte de l'importance essentielle des "fraternités humaines" par rapport à un même corps, celui de l'Église ou des pratiques et rites religieux, quelle que soit la religion.

5. Conclusion

Évoquer en ce domaine une conclusion peut paraître déplacé dans la mesure où c'est la vie qui conclut pour nous, et d'ailleurs, est-ce vraiment une conclusion ? En effet, le corps et la matière sont là mais n'est-ce pas le verbe et le langage, essentiellement, qui s'arrêtent ?

Il y a donc l'être qui se donne, celui qui abandonne cette "maîtrise habituelle" : "dé-maîtrise", qui n'est pas se laisser aller mais laisser à l'autre la capacité de nous prendre totalement dans son amour.

Il y a l'accompagnant qui reçoit et qui témoigne.

Avons-nous et aurons-nous la force d'accéder à cette dimension spirituelle qui est en nous, faite de simplicité, d'authenticité, d'écoute, de présence et d'union scellée au monde dans sa perception universelle, pour accepter de partir ou revenir dans la paix, l'amour et le pardon de l'âme, à la terre qui nous a enfantés ; réalisant que nous ne nous sommes jamais vraiment appartenu et que nous avons participé pour notre part, au destin de l'humanité, en espérant souvent une vie éternelle, dans une autre dimension.

 


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