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mise à jour le 17 septembre 2002

La colère et l'étudiante infirmière

Avertissement : Françoise est une étudiante francophone en soins infirmiers en dernière année de formation. Elle témoigne. Elle a gardé l'anonymat pour des raisons évidentes. Toutefois, je peux garantir l'authenticité de ce texte.

Côtoyer certains "soignants" qui s'arrogent le droit de maltraiter et de mépriser leurs patients parce qu'ils ne sont pas "gentils", c'est-à-dire qu'ils n'obéissent pas tout de suite, qu'ils posent des questions ou demandent plus d'aide ou d'attention que d'autres est une épreuve parfois insoutenable, surtout si on est étudiante infirmière et qu'on ne peut rien dire puisque le stage sera sanctionné par des points.

Entendre à propos d'un malade atteint d'un cancer de la gorge et souffrant de métastases pulmonaires et cérébrales, qui crache partout, ne se lave pas et fait parfois pipi à côté de son urinal : "ce dégueulasse-là, c'est sa faute s'il est dans cet état. D'abord, il a été alcoolo toute sa vie, il a fumé, il s'est drogué. Il mérite ce qui lui arrive". Et ne pas pouvoir demander ironiquement ce qu'il a bien pu faire, dire, penser ou être pour mériter des "soignants" pareils à la fin de sa vie. Ne pas oublier qu'on est étudiante infirmière et qu'on ne peut rien dire puisque le stage sera sanctionné par des points

Passer dans une chambre où un "soignant" a déposé le plateau du repas devant "un pépé, mais il est gentil celui-là, il sonne jamais" et devoir préparer ses aliments qui sont restés bien proprement emballés dans des petits pots scellés hermétiquement (et lui donner sa sonnette, restée à l'opposé de son lit) et ne rien pouvoir dire puisqu'on est étudiante infirmière.

Et tout ceci n'est qu'une petite partie émergée de l'iceberg...

Me sentir étudiante, méprisée, rejetée par une équipe qui a pourtant accepté la charge de former des stagiaires. Devoir me battre pour apprendre des techniques qu'on me reprocherait de ne pas connaître en tant qu'infirmière débutante.

De plus en plus, je pense que les services qui se plaignent du manque de professionnalisme des infirmières nouvellement diplômées devraient s'interroger sur leur manque de pédagogie envers les étudiants dont ils acceptent pourtant la charge. Une équipe accepte de former des étudiants… Cela ne veut pas dire que les membres qui la composent sont prêts à s’investir dans cette formation.

C’est vrai qu’en stage, la responsable de l’équipe infirmière ne peut coter l’étudiante que pour 10% des points, 40 % étant dévolus au rapport de stage et 50% à l’évaluation de la monitrice, mais là où ça se complique, c’est que celle-ci juge dans ses 50% de l'intégration dans l’équipe et de la manière dont celle-ci apprécie la stagiaire. Cela joue dans l’idée générale que la monitrice se fait de l'étudiante et de son travail, … et c’est elle aussi qui corrige le rapport de stage.

Le devoir et l’obligation de témoigner, on nous en a parlé, bien sûr. Mais nous sommes tributaires de deux éléments : la gravité des faits observés et l’importance de la notion d’équipe dans le travail infirmier. Il existe une gradation dans la maltraitance : tutoyer les gens paraît moins grave que les brutaliser. Et si les cas observés paraissent bénins, il est tentant de fermer les yeux..

Dans un service de gériatrie où je suis passée au début de mes études, j’ai entendu cette réflexion : "Mais elle essaie de nous donner des leçons de gentillesse, celle-là ? Elle croit vraiment qu’on a le temps de faire comme elle ?" … Il est impossible de travailler correctement dans une équipe qui ne vous accepte pas, ne vous soutient pas. Il vaut mieux être deux pour mettre une personne de 80 kilos au fauteuil ! J'ai vite compris la leçon et maintenant, je continue mon petit bonhomme de chemin, mais en étant plus discrète… quand je suis avec une collègue.

J’ai rencontré deux ou trois personnes "idéalistes" comme moi, et quand nous sommes découragées, nous nous racontons comme ce sera bien quand nous aurons gagné au Loto et que nous aurons créé notre " home idéal ".

Oui, je suis en colère.

Et j'espère le rester assez longtemps, et même toute ma vie, pour ne pas agir comme ces "soignants" que je viens encore une fois de côtoyer dans mes stages.

Moi, j'ai la chance de travailler déjà, et dans un service où l'humanitude, le respect humain, est le principe de base des soins que l'on offre et, grâce à cela, j'ai pu subir ce stage jusqu'au bout sans me causer d'ulcère, mais je me pose anxieusement la question : combien de jeunes stagiaires enthousiastes, en première année, sont-elles passées par ce service et ont-elles quitté, dégoûtées, une profession qui leur montrait un tel visage ?

En début de première année, nous étions quatre fois plus nombreuses. Il y a certainement beaucoup de raisons pour que des étudiants arrêtent leurs études, qu'elles soient trop dures ou ne correspondent pas à l’image attendue. Mais je reste persuadée que la perte de l’idéal de départ est encore une raison majoritaire à cette hécatombe.

La profession reste encore très tributaire de l’image religieuse traditionnelle. "Quel beau métier que le vôtre ! Il faut vraiment avoir la vocation !". Tous les jours, on entend des phrases de ce type. Et c’est encore avec la petite phrase assassine : "C'est pour le bien du patient !", qu’on nous fait travailler dans des conditions parfois inacceptables comme dans la plupart des homes.

Trop peu d’infirmières et de soignantes sont syndiquées. "Oui, mais, si on fait la grève, qui va s’en occuper ? "

C’est cela aussi la valorisation de notre métier : ne plus avoir cette image catholique : "Je suis la servante du Seigneur…". Ou encore du patient, du médecin...

Vous toutes, infirmières qui me lirez peut-être, souvenez-vous que vous avez été étudiantes, que vous avez peut-être subi ces mêmes vexations, ces mêmes colères impuissantes. Aidez les stagiaires qui passeront dans vos services !

N'oubliez pas qu'ils n'ont que leurs stages pour pouvoir imaginer quel sera leur futur travail et commencer à élaborer la manière dont ils pratiqueront bientôt leur métier.

…Et que vous deviendrez un jour à votre tour leurs "patients".

 


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