mise en ligne le 19 août 2003

Lettre ouverte à Monsieur Christian Estrosi, député,

 

Je publie ci-dessous la lettre ouverte de Madame Monique Neubourg, modératrice de la liste Aloïs.

Pour s'adresser à l'auteur de cette lettre : Madame Monique Neubourg,

Lettre ouverte à monsieur Christian Estrosi, député

15 août 2003

Monsieur le
Député,

Je lis aujourd'hui dans "le Parisien", au coeur d'une diatribe contre
les 35 heures (je laisse les spécialistes du travail vous répondre
sur ce point) et en réaction à ce que notre ministre de la santé a
appelé une « épidémie de canicule » : « Qu'il n'y ait pas derrière
les personnes de 80 ou 90 ans un parent ou un proche pour prendre les
précautions élémentaires, ce n'est pas au gouvernement qu'on doit le
reprocher ! C'est un phénomène d'abandon des familles face à leurs
responsabilités ».

Journaliste moi-même, je pars du principe que mon confrère du
Parisien a scrupuleusement retranscrit vos propos. Je vois dans votre
CV que vous êtes un ancien sportif de haut niveau, que vous vous
intéressez en tant que représentant du peuple au loup et à la
sécurité. Peut-être que la question du vieillard et de ses proches
vous est un peu plus étrangère.

Je vous écris en tant que fille unique d'une mère souffrant de la
maladie d'Alzheimer (âgée de 83 ans) et modératrice d'une liste de
discussion (Aloïs) qui rassemble parents, aidants et soignants de
malades atteints de cette épouvantable pathologie.

Aucun d'entre nous (je parle de mes colistiers et de moi-même) ne se
sent concerné par vos deux lignes sus-citées, nos parents, pour ceux
qui sont encore vivants, sont restés durant cette quinzaine
caniculaire aussi hydratés qu'une jeune mannequine soucieuse de
l'éclat de sa peau. Si cela vous intéressait, je pourrais vous dire
aux prix de quels sacrifices, de combien d'heures par jour évidemment
non rémunérées mais surtout nulle part reconnues par la société de
combien de vacances non prises depuis des années ; de combien de
crises de nerfs, de larmes, d'angoisses ; de combien de pathologies
(cancer notamment) développées à cause de l'épuisement et de la
revanche du psycho-somatique. Mais est-ce que cela vous intéresse ?
Est-ce que cela s'intégrerait dans le cadre d'une lutte politicienne
qui me semble être la vôtre et non d'un combat pour le bien être d'un
pays, de ses malades, de sa santé, de ses vieillards et de ceux qui
les aident ?

Je sens que l'on s'éloigne du loup et de la sécurité, mais comme vous
vous êtes exprimé sur ce sujet en ce 15 août, je vous prends comme
interlocuteur.

Imaginons,
Monsieur le Député, qu'un de ces cancers dont je vous
parle, ait emporté le parent (je vous parle bien sûr du jeune parent,
de celui qui se dévoue à hydrater et éventer son vieux parent) tout
entier dévoué. Ou qu'il se soit suicidé à la suite d'un licenciement
(qui sait, il pouvait aussi travailler chez Metal Europe ou Canal+).
Ou que, recul des retraites oblige, il ait été victime d'une
maladresse fatale sur son lieu de travail, mauvaise vue, mauvais
réflexes. Ou même, qu'un chanteur ivre et concubin l'ait molesté à
mort. Bref, que pour des raisons (volontairement polémiques et
choisies dans une actualité récente) diverses et (a)variées, le
vieillard soit seul, comme je le serai dans trente ans, comme le
seront nombre de mes colistiers (il est,
Monsieur le Député, des
femmes sans soeurs et sans enfants et des hommes isolés de tout),
quels mots trouverez-vous pour expliquer leur mort ?

Je n'espère aucune réponse de votre part. J'ignore même quel
stagiaire, préposé à la destruction du courrier électronique en
surnombre, aura la tâche de liquider ce courriel d'un alt-D ou
command-D un peu las. J'aurais juste aimé vous faire entendre la voix
de ceux qui, au jour de le jour, et pas juste le temps d'une tribune
comme un tremplin, ont à faire à des vieillards. (Je ne saurais trop
vous conseiller, avant votre prochaine prise de parole sur le sujet,
la lecture de l'excellent essai « La nuit, tous les vieux sont gris »
de Jérôme Pellissier.)

Je vous prie de croire,
Monsieur le Député, à ma considération électronique.

Monique Neubourg


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