mise en ligne le 9 juin 2002

Le code civil français

et la protection juridique

Avertissement de l'auteur du site : je reproduis ci-dessous un texte de Virginio Oddone, médecin légiste italien. Son texte me semble important car sa teneur est le plus souvent ignorée ou sous-estimée en France.

Virginio Oddone est médecin légiste et "docente" de Gériatrie sociale.

Le droit français reconnaît, comme tout autre droit national moderne, l'existence de conditions qui, en intervenant sur le fonctionnement psychique normal de la personne, limitent ou lui enlèvent totalement celle que nous appelons en Italie la "capacité d'agir". Cette dernière est définie comme la possibilité d'évaluer correctement les situations et de faire des choix valables.

Cette incapacité peut être le produit tant de maladies mentales que de conditions organiques qui ont des conséquences négatives sur le fonctionnement psychique de la personne. Il s'agit par exemple d'une psychose dans le premier cas, alors que le deuxième cas peut concerner les démences, une intoxication aiguë alcoolique, un coma, etc...

Elle peut aussi être temporaire ou bien permanente. Dans ce dernier cas, il faut assurer une protection permanente de la personne, parce qu'elle n'est plus capable d'interagir avec les autres membres de la collectivité avec un minimum de sécurité et de garanties. Ceci comporte des risques pour elle, sa famille et parfois pour d'autres personnes et/ou pour la collectivité elle-même. Les États, depuis l'antiquité romaine, ont décidé de lui accorder une protection spéciale, qui prend des formes différentes suivant les époques et les États.

Il faut d'abord tenir compte du fait que, en Europe au moins, la personne incapable ne perd jamais ses droits, ni ses devoirs. L'action de protection a pour but d'assurer la protection de ses droits et l'assouvissement de ses devoirs. L'organisation de cette protection dépendra certes des conditions physiques et psychiques du sujet concerné, mais aussi des conditions économiques et sociales, et en plus du niveau de maturité normative de l'Etat. Il faudra envisager aussi les ressources localement disponibles.

Prenons l'exemple de Madame Teresa X, frappée par une démence post-traumatique, pour qui j'ai demandé une tutelle urgente au Parquet de Turin. Elle a plein droit à jouir de son argent. Elle a aussi le devoir de payer à l'État les taxes qui lui sont dues sur ses avoirs, d'honorer la facture d'électricité, les dépenses communes pour l'entretien du bâtiment d'habitation, etc...

Pourtant, à cause de sa condition actuelle, elle n'est plus capable de se rappeler où est son argent, et même si elle en a. Elle ne souvient pas si elle doit payer des factures. En fait, elle risque qu'on lui coupe l'électricité à la maison. Elle est même devenue anosognosique, et ne se rappelle plus sa maladie de base qui est un cancer urothélial de la vessie avec diffusion au rein droit. Elle avait même refusé un traitement par dialyse.

De plus, un de ses voisins, se présente comme son "agent", sans avoir été désigné dans ce sens. Il prétend qu'elle "a parfaitement recouvré ses fonctions mentales" et voudrait qu'elle revienne à la maison, bien sûr sous sa protection.  Sa femme a reçu une procuration d'un parent qui habite à l'étranger, document que personne n'a jamais vu, qui en tout cas n'aurait aucune valeur parce qu'il n'est pas l'expression de la volonté de Madame Teresa X. Ce document est utilisé pour un jeu "d'ombres chinoises" avec les médecins du service, qui ont fini pour croire que ce monsieur était effectivement en quelque sorte "le" représentant de Madame Teresa. Bref, il y a de très forts doutes sur l'existence d'une manoeuvre pour s'emparer de ses biens qui pourraient être assez considérables.

D'où ma requête d'une protection urgente, pour lui permettre non seulement de garder son argent, mais aussi de pouvoir revenir chez elle avec une assistance suffisante, si elle peut la payer. Cela doit se dérouler sans que son voisin trop "bénévole" puisse en lui ôter la jouissance réelle. En plus il y a le problème des décisions thérapeutiques (et/ou d'abstention, le cas échéant) qu'elle ne peut pas prendre.

Pour obtenir cela, je dois m'adresser aux magistrats qui ont le pouvoir d'entamer une procédure de protection : 

- le Procureur de la République (qui, en absence de proches parents a le pouvoir de faire ouvrir une procédure),

- le Juge du Tribunal ensuite qui en Italie décide de la tutelle,

- et le Juge des Tutelles qui en sera le contrôleur final.

Je dois spécifier à chacun d'eux quel est le "profil du besoin" de cette malade, et donc quel projet on devrait faire pour elle. Je le fais parce que, en tant que médecin légiste de l'hôpital, je peux rassembler toutes les informations et les pièces des opérateurs sanitaires et sociaux qui, en ce moment, connaissent la patiente. A l'époque où j'étais médecin généraliste, je le faisais pour mes patients qui devenaient incapables : cela rentrait pleinement dans mes devoirs.

En Italie, les modalités de la signalisation et, surtout, de la gestion successive de la protection ne sont pas fixées avec clarté. Il y a même des juristes qui maintiennent encore que la tutelle a pour but uniquement la protection des biens matériels, des ressources financières de l'adulte incapable : ils nient que le tuteur doive s'occuper des autres "intérêts" du sujet, par exemple de sa santé, de son bien-être psychique, etc...

C'est tout le contraire en France car le droit français est très précis sur ce sujet. J'ose même dire qu'il est très beau, et j'en parle toujours dans mon cours de Gériatrie Sociale.

Vous avez trois niveaux de protection : sauvegarde de justice, curatelle, tutelle.

La première est "ponctuelle" : elle vise un acte isolé ou des types d'actes.

Les deux autres sont permanentes :

- la curatelle, qui recouvre ce que nous appelons en Italie "l'administration extraordinaire ", mais qui laisse au sujet le plein contrôle des activités "normales",

-la tutelle, qui couvre l'ensemble des activités, des besoins et des droits de la personne, donc l'administration extraordinaire et ordinaire.

Ce qui est intéressant, toutefois, c'est la définition du cadre dans lequel la protection va être organisée : et c'est là la grande originalité du droit français :

Art. 490 du code civil français, dernier alinéa : "... L'altération des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement établie".

Art. 490 -1 : Les modalités du traitement médical, notamment quant au choix entre l'hospitalisation et les soins à domicile, sont indépendantes du régime de protection appliqué aux intérêts civils.

    Réciproquement, le régime applicable aux intérêts civils est indépendant du traitement médical.

    Néanmoins, les décisions par lesquelles le juge des tutelles organise la protection des intérêts civils sont précédées de l'avis du médecin traitant.

Art. 490 -2 : Quel que soit le régime de protection applicable, le logement de la personne protégée et les meubles meublants dont il est garni doivent être conservés à sa disposition aussi longtemps qu'il est possible.

    Le pouvoir d'administrer, en ce qui touche ces biens, ne permet que des conventions de jouissance précaire, lesquelles devront cesser, malgré toutes dispositions ou stipulations contraires, dès le retour de la personne protégée.

    S'il devient nécessaire ou s'il est de l'intérêt de la personne protégée qu'il soit disposé des droits relatifs à l'habitation ou que le mobilier soit aliéné, l'acte devra être autorisé par le juge des tutelles, après l'avis du médecin traitant, sans préjudice des autres formalités que peut requérir la nature des biens. Les souvenirs et autres objets de caractère personnel seront toujours exceptés de l'aliénation et devront être gardés à la disposition de la personne protégée, le cas échéant, par les soins de l'établissement de traitement.

Art. 501 : En ouvrant la tutelle ou dans un jugement postérieur, le juge, sur l'avis du médecin traitant, peut énumérer certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire elle-même, soit seule, soit avec l'assistance du tuteur ou de la personne qui en tient lieu.

Le droit français attribue au médecin un rôle fondamental dans la protection des majeurs incapables ou "faibles" : c'est à lui seul d'attester le besoin de protection.C'est encore vers lui que le juge se tourne pour avoir des renseignements essentiels pour délimiter les bornes de la liberté soit du sujet à protéger, aussi bien que celles des personnes qui sont chargées de le protéger et de le "conduire" dans la vie de tous les jours. A remarquer que la loi prévoit, pour les problèmes de protection, une exception spécifique (art. L. 327 du Code de la Santé Publique) à la norme sur le secret professionnel qui en France a toujours été interprété de la manière la plus stricte.

Le médecin traitant devrait toujours se rappeler que, par sa déclaration, il intervient dans l'organisation de la vie toute entière d'un "frère humain" (comme l'appelait François Villon), frêle et en besoin de protection. 

J'aime dire que, par le biais du législateur qui a formulé des requêtes spécifiques dans les codes Civil et de la Santé Publique, c'est le peuple français qui lui demande de participer, d'une façon éclairée, à l'individuation d'un projet de vie de l'incapable qu'il soigne.

Le médecin qui travaille - à n'importe quel titre - dans une institution, et qui n'a pas de connaissance préalable du patient (c'est-à-dire qu'il ne sait rien de sa vie antérieure, de sa maison, de ses ressources, etc...) a le devoir et le droit de se renseigner sur l'état actuel et réel des ressources à disposition du patient.

Dans ses déclarations, le médecin soignant doit indiquer quelles sont les alternatives et les nécessités pour chaque solution proposée, bien sûr dans les lignes générales. Par exemple : "il pourrait revenir chez lui, mais avec une assistance 24 h. sur 24", ou bien la nuit seulement, etc...".

Dr. Virginio ODDONE, M.D.

V. Avogadro 6

10121 - Torino (Italy)

Téléphone et télécopieur: 00.39.011.5628528

e-mail : oddovir@ipsnet.it


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