dernière mise à jour le 20 novembre 2002 (last updated)

De l'intérêt à maintenir la fonction de la marche chez les patients très âgés.

Auteur : Paul Dantinne, kinésithérapeute, Belgique : pauldantinne@belgacom.net

 


Résumé :

Chez les patients très âgés, le maintien de la fonction de la marche est une priorité thérapeutique. Le traitement de réadaptation à la marche offre au patient à la fois une prévention de la totale dépendance fonctionnelle et un moment privilégié où la personne inspire plus facilement le respect. Il nous semble que les patients devraient, autant que possible, en bénéficier le plus régulièrement, ce qui répondrait généralement à leur désir profond ainsi qu'au souhait souvent exprimé par les médecins - traitants et par les familles. Surtout, ne démissionnons pas trop vite devant la perte d'autonomie !


  Dans la maison d'accueil pour personnes âgées où j'exerce ma profession de kinésithérapeute, résident plus d'une centaine de personnes. La moyenne d'âge de cette population est actuellement de quatre-vingt-cinq ans. La plupart de ces personnes souffrent de handicaps physiques multiples. Les altérations du psychisme sont également fréquentes. La décision d'entrer en maison de repos et de soins est souvent prise suite à la détérioration d'un état de santé déjà précaire. A leur arrivée chez nous, la plupart de ces personnes âgées, que l'on appelle pudiquement résidents, ont déjà perdu presque toute autonomie fonctionnelle et tant leur entourage qu'eux-mêmes ont souvent déjà adopté une attitude résignée devant cette situation. Comme la personne âgée éprouve inévitablement des difficultés d'adaptation, cette résignation risque de se transmettre rapidement au personnel soignant. Ce fatalisme est parfois même partagé par le médecin - traitant, sans doute découragé.

Constat édifiant : plus de la moitié des personnes âgées qui entrent dans notre maison de repos et de soins sont incapables de se lever et d'effectuer seules les quelques pas qui les séparent de la toilette ou de leur armoire. Si la réadaptation à la marche n'est pas rapidement et régulièrement proposée à ces patients, leur activité physique journalière se limitera à passer, tôt le matin, du lit au fauteuil et à retourner, tôt le soir, du fauteuil au lit. Leur état général va encore s'altérer et ces personnes vont glisser vers une vie inactive et totalement dépendante sur le plan fonctionnel.

 

Cependant, à condition d'être bien soutenus et aidés, un grand nombre de ces patients se révèlent encore capables de se mettre debout et même de se déplacer. Même si cet exercice de réadaptation est dans un premier temps difficile et fatigant pour le patient et nécessite la présence attentive de deux membres de notre équipe de kinésithérapie, nous avons décidé de consacrer notre énergie et l'essentiel du temps dont nous disposons à lutter pour que ces gens retrouvent progressivement une certaine autonomie fonctionnelle. L'importance de ces exercices de marche est généralement sous-estimée, sans doute parce que les résultats obtenus ne sont pas souvent spectaculaires et aussi parce que ce traitement peut paraître à la fois simpliste et vite routinier... Cette vision du traitement de réadaptation à la marche est superficielle. Même si la marge de progression est limitée et si le résultat obtenu est souvent fragile, maintenir la fonction de la marche ou la récupérer chez une personne en perte d'autonomie est un défi exigeant pour les patients et pour les thérapeutes. Cet exercice n'est jamais inutile. Malgré les apparences, il n'est jamais facile ni routinier pour la personne âgée.

 

Si la personne âgée a déjà perdu toute autonomie fonctionnelle et adopte une attitude résignée, il nous faudra la persuader de l'intérêt du traitement. C'est un préalable évidemment indispensable. Il nous faudra obtenir son accord et sa collaboration, dans le respect de sa liberté de choix et de ses possibilités psychiques et physiques. . Persuader la personne âgée de l'intérêt de la marche peut prendre du temps et de l'énergie mais la démarche est passionnante sur le plan humain. Les patients, même les plus démotivés, acceptent souvent avec plaisir les manÅ“uvres passives de massage. Avec ces techniques de toucher, les kinésithérapeutes disposent d'un indéniable atout pour établir une relation de confiance. Une fois cette confiance obtenue, une participation plus active de la personne âgée pourra être sollicitée. Au début, une simple verticalisation sera proposée. La personne retrouve ainsi progressivement la mémoire et les sensations de la position debout active. Ensuite la marche pourra progressivement débuter. A condition de respecter le patient, les refus définitifs sont très rares malgré l'effort exigé. Les personnes âgées se rendent rapidement compte combien elles sont aidées et sécurisées, ce qui les aide à vaincre leurs légitimes appréhensions. Les kinésithérapeutes doivent rester constamment attentifs et prendre en compte de nombreux paramètres individuels : les handicaps respectifs, le rythme de chacun, les rites parfois surprenants, etc. Les patients doivent être respectés dans leurs limites et faiblesses et encouragés dans leurs efforts et progrès. La marche sera souvent lente, exécutée de manière très imparfaite, mais le temps investi à remettre en mouvement ces personnes n'est pas du temps perdu. Au contraire, le jeu en vaut largement la chandelle : nous avons même quelque fois obtenu des résultats étonnants, au delà de nos espérances.

Sur le plan physique, personne ne conteste les bienfaits de cette activation sur toutes les fonctions physiologiques. Les kinésithérapeutes ont pu observer à de multiples reprises que les patients qui bénéficient régulièrement de ce traitement de réadaptation à la marche regagnent de la force musculaire, de la résistance physique et un meilleur équilibre. Ils retrouvent progressivement un périmètre de marche encourageant. Parfois, la personne retrouve suffisamment d'indépendance fonctionnelle pour se déplacer à nouveau seule, avec ou sans l'aide d'un rollator. Le résultat obtenu sera considéré comme très satisfaisant et nous veillerons à ce que l'entourage ne s'attarde pas sur les multiples imperfections de cette déambulation.

A contrario, nous avons trop souvent constaté chez les patients qui ne recevaient pas ce traitement ou en bénéficiaient de manière irrégulière, une perte progressive à la fois de force musculaire et de souplesse articulaire, qui aboutissait à l'ankylose et la totale dépendance fonctionnelle.

Sur le plan psychique, ce traitement de marche sécurisée est particulièrement profitable. Les personnes âgées se sentent respectées dans leurs efforts et sont valorisées par leurs progrès. La personne regagne, en même temps qu'une meilleure qualité de vie, une meilleure estime d'elle-même et un regard plus respectueux de ses proches. Elle retrouve plus de dignité. Nous avons constaté que des personnes confuses qui retrouvaient, grâce à un meilleur équilibre et un meilleur tonus musculaire, la position debout puis une marche de plus en plus assurée, retrouvaient en même temps des attitudes et des propos plus cohérents. Pour l'équipe de kinésithérapie, ce résultat est très gratifiant.

A contrario, les interruptions de traitement entraînent inévitablement un nouveau « repli sur soi » des personnes âgées. A leur manière, les patients expriment rapidement leur inquiétude quand les traitements sont espacés. Nous avons ainsi remarqué des états dépressifs, des cas de régressions, et même des syndromes de glissement chez des patients qui recevaient trop irrégulièrement ce traitement ou bien s'il était interrompu.

Sur le plan socio-économique, il faut souligner les retombées de tout traitement qui vise à préserver ou à rendre certaines capacités physiques et psychiques aux personnes âgées. Quand nos patients retrouvent plus de force et d'aisance dans les gestes les plus habituels et adoptent une attitude plus participative, la charge de travail du personnel soignant s'en trouve soulagée. Les mobilisations et les déplacements entraînent moins de plaintes et s'effectuent plus facilement et plus rapidement. Ce traitement contribue incontestablement à diminuer progressivement le nombre de grabataires et peut jouer un rôle important dans la prévention de l'incontinence. Le maintien de la fonction de la marche allège donc sensiblement la charge de travail des autres intervenants.


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