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mise en ligne le 9 Mai 1999

dernière mise à jour le 21 juillet 2017

Nous n'avons jamais pratiqué d'euthanasie dans notre service. J'entends par "euthanasie" la pratique de gestes médicaux visant à mettre fin délibérément à la vie d'un de nos patients.

Remarque : un texte initial a été envoyé par l'auteur de ce site à la télévision japonaise NHK en Août 1998. Ce document est donc personnel, n'engage que celui qui l'a écrit. Il est aussi trop succint pour être exhaustif. Enfin, il peut être discuté par le lecteur.

Le déni de la mort est un mécanisme puissant de défense. Il consiste le plus souvent pour nos patients et leur famille à ne pas avoir envisagé concrètement la perspective de la fin de la vie. Quand le décès est envisagé, les considérations liées à la gestion financière des frais de fin de vie et à l'héritage semblent prédominer sur les aspects liés à la santé. Rarement, dans un à deux pour cent des cas, la personne âgée ou sa famille font état d'un écrit sur ce dernier thème. Un document m'est alors communiqué (médecin du service de Soins de Longue Durée). Moins rarement, l'intention de la personne, émise verbalement en période de lucidité, est rapportée par la famille à l'entrée dans le service. J'entends par lucidité la période de la vie pendant laquelle la personne âgée pouvait émettre un avis pertinent, en pleine possession de ses moyens intellectuels. Cette mention d'une attitude déjà définie n'est toutefois pas spontanée, la question devant être soulevée par moi-même faute d'indication sur ce point. La réticence à évoquer ce sujet est alors souvent manifeste, les choses semblant aller de soi...

La même fuite de la réalité peut être constatée parmi certains soignants. Pour exemple, peu nombreux sont les protocoles de soins palliatifs ou ceux de prise en charge du décès. Dans un contexte de soins de mieux en mieux codifiés, cette part d'ombre n'est pas fortuite.

Dans l'idéal, répéte-t-on à loisir, l'euthanasie ne devrait pas être nécessaire si les soins palliatifs étaient correctement entrepris et constamment efficaces. Il s'agit ici d'une vision à mon avis juste mais partielle de ce problème. Une petite minorité de malades souhaite l'euthanasie pour des raisons philosophiques, anciennes : ils ne supportent pas la perte d'autonomie qu'ils considèrent comme une indignité. Dans ce cas, les soins palliatifs, même de la meilleure qualité possible, trouvent leurs  limites.

Historiquement, l'euthanasie a représenté certainement une solution -certains parlent de tentation- à notre incompétence et/ou à notre impuissance.

Comment réaliser des soins palliatifs de qualité ?

La formation des personnels, l'attention portée aux symptômes de fin de vie, le suivi méthodique et scrupuleux de ces patients en sont des préalables indispensables. Ces éléments nécessiteront davantage d'efforts culturels que techniques.

Le mouvement actuel des soins palliatifs représente en partie une réaction à la tentation et à la pratique de l'euthanasie. Largement supporté par des sensibilités religieuses, il est à la fois progressiste et réactionnaire. Progressiste car il permet à l'humanité de progresser vers une fin de vie confortable et digne. Réactionnaire, ou plutôt réactionnel, il est venu en contrepoint de la tentation euthanasique. Mais il est aussi rétrograde dans le sens d'un retour du religieux, d'une revanche sur la société matérialiste enfin obligée de contempler ses limites dans la fin de l'individu. Ce n'est pas par hasard si la séquence Schwartzenberg-Verspiren est chronologiquement celle de l'euthanasie vers l'anti-euthanasie, ou même si l'on a pu écrire : euthanazie. A ce propos, il convient de remarquer que le débat sur ce sujet en Europe est considérablement influencé, consciemment ou non, par le récent génocide du peuple juif dans les camps de concentration nationaux-socialistes.

Au risque d'avoir une position originale, je pense que l'euthanasie a représenté une étape du développement de la prise en charge des patients en fin de vie. La question est de savoir si cette étape est historiquement dépassée ou non. Avec la prudence idéologique exprimée plus haut, je suis convaincu que le mouvement des soins palliatifs représente un espoir réel pour nos patients. Mais son développement a été rendu possible en grande partie par l'euthanasie qui lui a donné l'occasion de grandir et de préciser ses propres objectifs et moyens.

Enfin, je me demande si le débat euthanasie-antieuthanasie ne sera pas prochainement dépassé par la pratique. Je m'explique : nous sommes amenés à avoir des attitudes thérapeutiques utilisant dans certaines situations des médicaments qui peuvent être utilisés en euthanasie. Il conviendra alors de faire savoir clairement que nous n'avons jamais l'intention de donner la mort, mais toujours celle de soulager notre patient.

Restera alors la forme la plus odieuse de l'euthanasie : la peine de mort par injection létale qui est sortie des USA pour se propager à d'autres pays.

En réponse au texte du Docteur Yudi Yamada le 17/4/99 (texte paru en 1999 sur le site de NHK sous le numéro 543)

Je suis tout d'abord frappé par la tonalité affective générale de ce texte. La souffrance de l'auteur est nettement perceptible. Par exemple, le paragraphe concernant le voyage à Yokohama est éloquent. Qui oserait encore prétendre que ce médecin est insensible à la souffrance et au décès de son patient ? "La séparation est toujours très dure". Oui, les soignants souffrent, quelle que soit leur culture, semble nous dire Monsieur Yamada. La culpabilité n'est jamais absente du deuil. Je crois la déceler dans le remords concernant l'utilisation du midazolam. Ne pas hâter ni prolonger la mort de nos patients est un objectif très louable. Je suis personnellement, comme l'auteur, hostile au principe de l'euthanasie. Toutefois, il convient de distinguer les principes et la réalité. Certes, il convient de respecter des règles éthiques. Ainsi, une attitude obéissant à des préceptes stricts sera le plus souvent opérante et rassurante. Toutefois, elle ne permet pas toujours de faire face aux cas les plus difficiles. Il convient d'abord de clarifier nos objectifs : évitons l'acharnement thérapeutique, l'abandon thérapeutique et l'euthanasie. Mais définissons notre action de manière plus positive : que voulons-nous? Ma réponse est sans ambiguïté : nous recherchons le confort physique et psychique de notre patient, autant que faire se peut. Dans ce contexte, l'attitude du docteur Yudi Yamada me semble très correcte. Une sédation s'adressant à un symptôme pénible, ici une dyspnée sévère (difficulté pour respirer), est légitime à mes yeux. Bien sûr, nos médicaments qui soulagent peuvent éventuellement précipiter l'issue. Il en est ainsi surtout des morphiniques et des sédatifs tels que le midazolam. Or, nous savons que la sédation d'une dyspnée sévère ne peut pas toujours être obtenue par le seul emploi des corticostéroïdes et de faibles doses de morphine.

Oui, la frontière est floue entre l'euthanasie et le soulagement en phase terminale. Encore faudrait-il que la définition de l'euthanasie soit claire (en grec : bonne mort). Le repère le plus pertinent me semble l'intention de donner la mort. Nous n'avons pas l'intention de donner la mort, mais nos médicaments de confort peuvent hâter la fin de notre malade, même à des doses non mortelles. De plus, le patient du docteur Yudi Yamada était averti des risques. Il a accepté et même demandé le midazolam. Souhaitons que nous disposions prochainement de techniques permettant une meilleure efficacité sans effet secondaire. Reconnaissons simplement que ce jour n'est pas encore arrivé, en France comme au Japon. Peut-être devrions-nous dire et écrire cela publiquement afin d'en informer nos futurs patients et leurs familles.


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