http://www.geriatrie-albi.fr/

Euthanasie : pourquoi la demande est-elle aussi rare en Soins de Longue Durée?

mise en ligne le 23 octobre 2003

mise à jour le 27 octobre 2003

Introduction

Je voudrais, à l'occasion d'un débat à mon sens beaucoup trop passionné, apporter une contribution née de l'expérience d'un service français de Soins de Longue Durée quant à la rareté de la demande explicite d'euthanasie. Je précise que ce texte demeure sous mon entière responsabilité. Je suis conscient que l'âpreté actuelle du débat de société pourrait faire interpréter hâtivement mes propos. Je suis disposé à échanger opinions et expériences avec ceux qui voudront bien me lire.

La demande explicite d’euthanasie par le malade lui-même est l’exception et non la règle dans le contexte précis de mon exercice de gériatre en Soins de Longue Durée depuis le 4 novembre 1991. Seulement deux cas me reviennent à l’esprit dans un service où les décès ont lieu à la fréquence moyenne d’un par semaine. Un d’entre eux concerne la demande d’une résidente, l’autre implique un désir fortement exprimé par la famille d’une résidente centenaire.

A la rareté de ces demandes explicites, il est possible de trouver plusieurs raisons potentielles que je me propose d’analyser dessous.

I- La demande émanant du résident

A- La demande d’euthanasie de la part du résident n’aurait pas lieu.

Cette hypothèse est la plus gratifiante pour l’entourage de l’intéressé. Elle pourrait témoigner d’une avancée notable et durable dans le domaine du soulagement des malades, en particulier en fin de vie. Le développement des soins palliatifs ne serait pas étranger à cette situation.

B- La demande d’euthanasie de la part du résident serait formulée mais serait inaudible.

Postulons que cette demande ne serait pas entendue car elle ne serait pas écoutée par l’entourage : famille, soignants, bénévoles.

1- La famille pourrait être sourde à une demande beaucoup trop douloureuse et culpabilisante. Une telle demande pourrait être entendue ainsi par la famille : « plutôt mourir que vivre en institution, loin de sa maison et de ses proches ».

Or, cette problématique est centrale dans le tournant historique sans précédent que nous vivons en ce moment.

Du fait de l’accroissement de l’espérance de vie, du faible nombre des enfants dans la famille nucléaire, de la généralisation du travail rémunéré féminin, de l’éclatement des familles et de la distance spatiale entre ses membres, un vécu d’abandon se développe chez les parents âgés et chez leurs enfants. A la remarque voilée de l’ancien : « mes enfants sont bien loin d’ici et ont d’autres soucis » répond le sentiment de ne jamais en faire assez pour ses vieux parents. La demande d’euthanasie serait donc entendue comme une punition supplémentaire, une sorte de point final sans recours à une situation déjà vécue comme un échec.

2- Les soignants pourraient entendre une telle demande comme la confirmation de leur propre échec professionnel et humain.

Des motivations culturelles, éthiques, philosophiques et religieuses, mal explicitées, jamais mises au jour pour maintenir l’étanchéité entre options personnelles et professionnelles, pourraient transformer le refus de pratiquer l’euthanasie en refus d’entendre la demande d’euthanasie.

Un exemple frappant est la démarche classique diffusée dans les séminaires de soins palliatifs. D’un côté, les désirs du patient doivent être pris en compte dans toutes leurs dimensions : médicale, psychologique, sociale, spirituelle. Les besoins doivent être entendus et honorés dans toute la mesure du possible.

Pourtant, dès qu’il s’agit d’une demande d’euthanasie, il conviendrait d’en interpréter le sens qui ne doit pas se situer au premier degré. Il s’agira par exemple d’un défaut d’analgésie ou d’un autre inconfort majeur. A moins que le défaut d’accompagnement soit en cause. Plus rare et plus difficile à affirmer pour le soignant : son optique individuelle et collective qui peut s’opposer au désir du patient, fût-il en train de mourir. Comme s’il existait un tabou du désaccord avec le mourant, comme si la demande d'euthanasie ne reposait que sur un échec ou un malentendu.

3- Les bénévoles n’échappent pas à la logique décrite ci-dessus.

De plus, leur âge, leur sexe et leurs motivations pourraient jouer un rôle dans le refus d’envisager le désespoir qui mène à la demande d’euthanasie. Une de leurs réponses pourrait être : « il ne faut pas parler comme ça, il y a toujours un espoir, une espérance ».

C- La demande d’euthanasie de la part du résident ne serait pas formulée pour diverses raisons.

1- Les personnes âgées ne sont pas à même de formuler une telle demande car leurs capacités cognitives et langagières ne le permettent plus.

Il s’agit d’une situation évidente et fréquente. Le témoignage des options antérieures à la pathologie est rarement exploitable.

En France, Il n’existe pas, comme aux Etats-Unis, de possibilité de faire valoir des « advance medical directives ». Voir la page du site de la Mayo Clinic à l’adresse :

http://www.mayoclinic.com/invoke.cfm?objectid=83E7580F-6506-4D06-B9424AC6ED1CA79A

Ces dispositions se décomposent en deux possibilités :

- celle de rédiger un testament de vie, littéralement traduisible par des « volontés de vie » : il s’agit d’un document légal qui décrit le type de traitement médical et de mesures destinées à prolonger la vie qui sont ou non acceptées. Par exemple, la respiration artificielle ou l’alimentation par sonde. Dans certains états américains, ce document prend le titre de « déclaration de soins de santé » ou de « directive pour les soins de santé » (traduction américain-français par l’auteur de ce texte).

-  et celle de confier à un tiers le soin d'assurer sa représentation en cas d’incapacité. Cette possibilité prend le nom de « pouvoir médical du procureur » qui est la prérogative durable du procureur pour les soins de santé. Ce document légal désigne une personne à même de prendre des décisions médicales au nom du patient dans l’éventualité où il en est incapable. La personne désignée est connue sous le titre d’agent des soins de santé ou de mandataire.

Revenons en France.

Dans mon expérience, seules deux personnes ont formulé par écrit des volontés dans le domaine médical. Leur contenu et leur forme témoignaient d’une grande indigence dans ce domaine, à la fois en quantité et en qualité. Concrètement, il n’était pas possible de se fonder médicalement sur ces documents pour arrêter une attitude circonstanciée. Tout au plus pouvions-nous prendre acte d’une volonté générale de refus d’un acharnement thérapeutique ainsi exprimée.

Cette considération ne m’amène pas à condamner ce type de démarche, mais plutôt à constater que l’invalidité légale d’une telle disposition est probablement la principale cause de son indigence, par exemple du fait de l'absence de cadre formel.

Constatons en passant le contraste avec la grande fréquence des volontés dans le domaine financier ou même dans celui de l’organisation des obsèques.

2 – La démence sénile pourrait éteindre la demande d’euthanasie par des mécanismes complexes. Considéré parfois comme un mort-vivant par son entourage, le dément serait déjà parti. Même si je ne partage pas cette appréciation, il est souvent admis que ce patient subit une mort sociale avant la mort biologique. On peut alors supposer que l’euthanasie est sans objet chez une personne qui est … déjà morte.

Si l’on inclut la démence dans les mécanismes de défense contre l’angoisse de mort, il ne faudra pas trop s’étonner de l’absence de demande d’euthanasie ou de tentative de suicide. La diminution des capacités intellectuelles et physiques n’en seraient pas les seuls facteurs limitants.

3- La politique du service est connue : refus de l’euthanasie des personnes âgées, exprimé à la moindre occasion écrite ou verbale.

Dès l’inscription pour soins et hébergement dans le service, la famille du futur résident est informée de cet aspect par le livret d’accueil, document écrit qui lui est remis systématiquement. Il est probable que la réputation du service remplit un rôle similaire.

Chaque séminaire de soins palliatifs ou conférence sur ce thème est l’occasion de réaffirmer cette option.

Lors de réunions avec les familles et les bénévoles, ce principe est couramment rappelé.

Lors de la rencontre entre chaque famille et le médecin après l’entrée du résident, notre attitude est évoquée de manière systématique.  Un bulletin associatif mensuel, qui joue en fait le rôle de journal interne du service, est aussi un véhicule de cette position.

Par contre, un entretien structuré avec le résident sur ce thème n’a pas lieu. Toutefois, à la moindre opportunité, et en tenant compte des capacités intellectuelles de l’interlocuteur, le refus de l’euthanasie est réaffirmé en même temps que l’éloge des soins palliatifs.

Les projets de service ont enfoncé le clou. Voir ci-dessous les « dix commandements » résumant les objectifs du service en juillet 2000.

Tableau 1. Tableau synthétique des priorités  du service lors du quatrième projet.

D

douleur

Tu lutteras contre les douleurs physiques et psychiques

I

inconforts

Tu lutteras contre les inconforts (autrement qualifiés de symptômes non douloureux)

L

libération

Tu libéreras les personnes âgées des contentions physiques et médicamenteuses dans toute la mesure du possible

O

ouverture

Ton service tu ouvriras au maximum : accueil , bénévoles, animation, spiritualité...

I

information

Tu encourageras la libre expression : réunions, journal interne, etc...

F

formation

Tu encourageras les formations

D

démocratie

Tu n'auras pas peur de ce mot en institution

V

violence

Tu lutteras contre toutes ses formes

E

euthanasie

Tu ne tueras point (déjà lu cela quelque part, mais je ne sais plus où...). Tu méneras une politique offensive de soins palliatifs

P

parents

Tu t'interrogeras comme s'il s'agissait de tes propres parents

Une politique aussi affirmée dans ce domaine pourrait aussi, au moins en théorie, « éteindre » les demandes d’euthanasie.

D- La demande n’est pas exprimée par auto-censure : la demande d’euthanasie est d’abord une demande.

1- L’ambivalence de la demande

Une demande a toujours une signification ambivalente : la demande d’euthanasie ne devrait pas échapper à cette réflexion. Une demande est toujours un appel à l’aide d’autrui. D’où l’ambivalence de la demande qui signe une perte d’autonomie personnelle au profit du recours à un tiers.

Autrement dit, une telle demande, dans une situation aussi significative, c’est l’aveu d’un échec et d’une dépendance sur sa propre vie.

2- L’embarras provoqué par la demande

Paradoxalement, cette demande peut aussi être auto-censurée par crainte de poser un difficile problème à l’entourage soignant et familial.

3- De la demande considérée comme une faiblesse

A l’instar de la plainte douloureuse qui peut être minorée dans une optique de stoïcisme, la demande d’euthanasie pourrait être réprimée, refoulée, par volonté d’afficher une attitude digne dans une condition extrême.

4- La demande est fonction de la réponse attendue, pas seulement de la réponse espérée.

La demande est certainement modulée par la réponse attendue. Il est facilement imaginable qu’une demande immédiatement honorée sera formulée plus aisément qu’une demande qui restera de toutes façons sans conséquence concrète. Bien sûr, l'inverse pourrait être vrai aussi : une demande sans risque.

Dès lors, comment ne pas réinterpréter le souhait fréquent réitéré de voir enfin finir sa vie ?

5- Le rôle de la religion, quant à lui, est actuellement difficile à distinguer de la culture dans la modulation de la demande.

II- La demande émanant de la famille

La demande d’euthanasie de la part de la famille est exceptionnelle dans notre expérience comme nous l’avons dit en introduction.

Certains facteurs envisagés ci-dessus pour la non-demande par le résident sont probablement explicatifs. Il en est ainsi de la réputation du service dans ce domaine.

Pourtant, à bien écouter les familles, certains éléments demeurent troublants.

J’ai eu la surprise, à vrai dire rarement, de devoir convaincre certaines familles du décès naturel et non provoqué de leur parent. Cette difficulté rend compte de la confusion entre les soins palliatifs, l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie. En effet, bien qu’une évolution positive ait été constatée dans ce domaine, toute mesure thérapeutique, en particulier invasive, court le risque d’apparaître comme de l’acharnement thérapeutique ou bien comme une euthanasie déguisée.

Cette considération découle de la relative nouveauté de l'attitude palliative active en fin de vie.

III- L'attitude des personnels

Il s'agit en fait d'un sujet peu débattu car les choses semblent aller de soi du fait de la réputation du service. Le livret d'accueil des soignants est aussi explicite que le livret d'accueil des familles sur ce point.

Le débat se situe davantage au niveau de l'attitude palliative dans sa nature et quant au moment de sa mise en oeuvre.

Conclusion

La faible demande quantitative d’euthanasie émanant des résidents et de leurs familles en Soins de Longue Durée ne doit pas émousser la réflexion sur la fin de la vie. Mieux, elle ne doit pas faire conclure automatiquement à une bonne prise en charge de cette période ultime.

 


Ecrire à l'auteur du site : Bernard Pradines

Retour à la page d'accueil