mise en ligne le 1er février 2009

mise à jour le 3 février 2009

Diminuer la polymédication excessive ?

 

Quelles sont les conséquences prévisibles de la polymédication ?

La polymédication comporte un risque plus grand d'effets secondaires, risque lié à la mutiplicité des substances administrées. De plus, les interférences médicamenteuses ont davantage de possibilités de se manifester. Avec le nombre des médicaments, le risque d'erreur d'administration est accru. Le travail infirmier est augmenté ainsi que la surveillance médicale des diverses thérapeutiques.

Circonstances de mise en œuvre d’une polymédication excessive

A la faveur du passage dans divers services hospitaliers, des traitements sont instaurés de manière additive, empirique, sans toujours envisager la globalité de la thérapeutique. Ainsi se constitue parfois une polymédication impressionnante de l’ordre de 14 ou 15 molécules. Dans ce domaine, il semblerait toutefois que les idées évoluent aussi du quantitatif vers le qualitatif : plutôt que de simplement compter les lignes de prescription et de fixer une limite maximale souhaitable (par exemple 4 substances), il conviendrait aussi de s’intéresser aux types de substances et à leurs capacités plus ou moins grandes d’interférer avec les autres traitements. Dans cet esprit, il est probable que les logiciels permettant de détecter les interférences ne sont pas suffisamment utilisés.

Pourquoi les médicaments ne sont-ils pas arrêtés plus facilement lorsqu’ils sont devenus inutiles ?

Le patient a souvent un fort souvenir positif du premier moment d’efficacité thérapeutique, par exemple avec un IPP ou des antiparkinsoniens. Il peut redouter un retour de la symptomatologie en cas d’arrêt du traitement.

La crainte du syndrome de sevrage peut légitimement faire repousser une éventuelle diminution de posologie d’un médicament, surtout lors d’un court séjour hospitalier. Il faut en effet du temps pour contrôler la décroissance d’un traitement par benzodiazépine ou par opioïde.

Le médicament représente un lien symbolique entre le médecin traitant et son malade. Aussi, les divers médecins des institutions n’oseront pas facilement remettre en question les traitements déjà prescrits. On ne revisite pas facilement les traitements d’un confrère, surtout en dehors de sa propre spécialité. De crainte de froisser le médecin traitant et le malade. Qui plus est, une interruption devrait être accompagnée d’une longue explication auprès du patient et d’une justification auprès du prescripteur antérieur.

 La justification de chaque substance prescrite est rare dans les dossiers médicaux et en particulier dans les rapports de sortie hospitaliers. Or, une telle démarche obligerait à remettre en question la légitimité de la poursuite de nombreuses substances. Le plus souvent, on se contente de reconduire les traitements sans y toucher.

Les divers spécialistes ne sont pas toujours à même de juger de la pertinence d’un traitement particulier : par exemple le cardiologue ne modifiera pas facilement la prescription d’un neuroleptique, surtout en dehors de l’urgence.

 Le malade peut être attaché à son traitement par crainte de la maladie et de la mort : en cela, il a le sentiment de se prémunir d’un sort funeste. Ou tout simplement par crainte plus ou moins justifiée de décevoir son médecin.

Quels sont les situations les plus fréquentes d'une polymédication excessive ?

En institution, les résidents se voient souvent prescrire ou renforcer des psychotropes à l’entrée car l’institutionnalisation représente un traumatisme grave. La demande de « somnifères » est forte : « je ne dors pas, il ne dort pas » = zolpidem ! D’autant que les personnes se voient proposer l’inactivité et le lit pour une durée souvent supérieure à celle qu’ils connaissaient. Il convient à mon sens de remettre en question cette attitude lorsque les liens sociaux se nouent à nouveau avec le temps et qu’une certaine adaptation a pu se réaliser. Sinon, nous pouvons obtenir une somnolence délétère qui passera aisément pour une régression qui ne dérange pas l’environnement humain.

Dans le domaine des neuroleptiques, il est souvent possible d’éviter une bimédication ainsi que l’administration des neuroleptiques classiques à potentiel anticholinergique en les remplaçant par un neuroleptique atypique.

Deux benzodiazépines ont parfois été prescrites (ce n’est pas rare). Il est souvent -toujours- possible de n’administrer qu’une seule molécule. A l’inverse, l’arrêt brutal d’une benzodiazépine ou du méprobamate a pu être à l’origine d’un état anxieux mal expliqué.

Je passe sur l’immense débat au sujet de l’arrêt des IACE et autre mémantine en phase très évoluée de la maladie d’Alzheimer : sujet débattu et publié.

Ce résident sous lévodopa ou encore sous piribédil, bien loin de sa lune de miel, pas parkinsonien mais ayant présenté un syndrome extrapyramidal peut-il voir son traitement réduit sans effets off supplémentaires ?

Pour ce qui est des HBPM, leur administration est souvent trop durable faute de conduite à tenir précise, en particulier à la sortie d'un service de neurologie dans le contexte d'un AVC.

Il en est de même pour les analgésiques dont l’administration pourrait être trop généreuse et trop durable à l’entrée du fait de deux mécanismes principaux : d’une part la composante affectivo-émotionnelle de la douleur est exacerbée par le bouleversement représenté par le changement involontaire et probablement définitif de lieu de vie ; d’autre part, la connaissance des zones et des positions douloureuses requiert du temps pour les personnels chargés d’aider le résident. Même remarque que précédemment pour l’interruption brutale du traitement.

Du fait de sa facilité d’administration, le paracétamol est parfois poursuivi au-delà de la durée de la cause de la prescription : douleur passagère, fièvre depuis longtemps disparue. Un risque : ne pas arrêter le paracétamol per os lorsque l’on administre du paracétamol injectable (PERFALGAN*).

 Pour ce qui est des antihypertenseurs et des diurétiques en particulier, il convient de les considérer à la lumière d’une alimentation devenue pratiquement désodée et d’une vie désormais calme voire vide. Dans ce contexte, il n’est pas rare d’observer des hypotensions orthostatiques ou des hypotensions post-prandiales, en particulier au lever matinal ; bien qu’on nous signale des « malaises vagaux », l’origine en est le plus souvent iatrogène en dehors bien sûr des pathologies nocives sur le système neuro-végétatif telles que le diabète sucré, maladie de Parkinson … Cette considération est encore plus pertinente lorsqu’un facteur d’hypovolémie se surajoute : par exemple une déshydratation par adipsie ou anorexie, perte digestive ou hyperthermie.

Il convient souvent, en relation avec les cardiologues, de revoir les traitements à visée cardiovasculaire à la faveur du changement d’hygiène de vie. Ceci est particulièrement vrai quand une association du type IEC-aldactone ou ARA2-aldactone avait été prescrite. Au même titre que je suis souvent amené à les interroger sur l’intérêt de la mise en route d’un traitement béta-bloquant. Toujours dans le domaine de la prévention cardiovasculaire, les médicaments hypolipémiants (statines, fénofibrate) doivent être au moins remis en question si le patient passe du régime saucisses-frites-gâteaux à celui, parcimonieux et –ô combien vertueux- de nos institutions. Idem pour le diabète sucré si nous avions le mauvais goût (sans jeu de mot) d’imposer un régime digne de celui d’une personne de 30 ans.

Sommes-nous convaincus par l’utilisation de vasodilatateurs périphériques chez cet artéritique qui ne présente pas de claudication intermittente ni de plaie trophique ?

L’amiodarone n’ayant pas réduit cette FA, faut-il la poursuivre ?

Il n’est pas rare que l’administration de sels de fer ait été poursuivie sans limite précise au décours d’un épisode d’anémie liée à une déperdition sanguine.

Nous pouvons vérifier que l’administration d’allopurinol ne repose pas sur un simple chiffre d’uricémie mais sur la prévention d’une authentique pathologie gouteuse.

 Ce patient qui est porteur d’une sonde urinaire doit-il demeurer sous alfuzosine ?

 Les IPP ne sont pas en reste : loin déjà de l’épisode plus ou moins documenté d’épigastralgie ; ils nous restent sur les bras comme les patchs de dérivés nitrés sont là depuis des temps immémoriaux, le plus souvent sans  argument convaincant (le scotch du capitaine Haddock).

Les aérosols : ils ne sont pas toujours anodins, surtout s’ils sont inutiles. Cela pourrait être le cas du bromure d’ipratropium à toxicité cardiovasculaire potentielle.

Les collyres béta-bloquants sont-ils sans risque chez ce patient bronchopathe ?

Cette patiente qui prend un antihistaminique présente-t-il encore une possibilité d’accident allergique, surtout si les facteurs déclenchants sont connus et évités ?

 Certaines pratiques sont-elles insuffisamment développées ?

Les interférences médicamenteuses sont-elles systématiquement vérifiées ?

Le calcul de la clairance de la créatinine, même s’il est toujours en discussion quant à sa précision, ne devrait plus être oublié.

 Faut-il interrompre l’AVK seulement parce que le patient présente des chutes sans gravité ? Les AVK représentent un risque iatrogène bien connu : il est important que tout malade sous AVK ait une programmation de surveillance de l’INR. Cela arrivait encore il y a deux ou trois ans dans mon service. Chaque personne : résident, famille, soignant, doit savoir que ce traitement ne peut pas être laissé sans une surveillance prévue : la date du prochain INR doit toujours être connue.

Les vaccinations sont encore trop peu systématiques : PNEUMO 23, VAT et vaccin antigrippal.

Pour ce qui est des anticomitiaux, la lamotrigine qui me semble intéressante quant à son innocuité : moindre somnolence en particulier, même si une dermatose doit nous mettre immédiatement en alerte. C’est ainsi que je change souvent le traitement précédent pour cette substance, sachant que l’institution de ce traitement demande du temps et de la surveillance.

 Les antidépresseurs ISRS me semblent sous-employés. Ils représentent un moyen souvent efficace, toutes molécules confondues, face aux troubles de l’humeur chez la personne âgée démente et en général chez celle qui souffre d’une pathologie chronique invalidante : douleurs, insuffisance respiratoire ou cardiaque.

 En conclusion

Tout un chacun constate et déplore la polymédication excessive. Pourtant, elle persiste. Une diminution pertinente  ne pourra être obtenue que si elle s'intègre dans une amélioration générale de la prescription médicamenteuse.



Ecrire à l'auteur du site : Bernard Pradines