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 mise en ligne le 26 mai 2004

mise à jour le 3 juillet 2004

Un remède pire que le mal ?

Critique du règlement intérieur d'une "cellule violence"

 

Plan de l’exposé ci-dessous :

Introduction

I) Définitions

II) Historique

III) Critique du règlement intérieur d'une cellule violence

Conclusion


Introduction

La maltraitance et la violence sont probablement aussi  anciennes que l'humanité.

Pourtant, elles sont devenues heureusement inacceptables pour tous les acteurs qui accompagnent les personnes âgées : soignants, familles, bénévoles, personnes âgées.

La constitution de groupes de soignants en « cellules violence » était au départ destinée à diminuer la violence à l’hôpital.

Toutefois, il ne faudrait pas que des mesures hâtives viennent créer une « pseudo justice maison ».

J’essaie ci-dessous d’analyser le règlement intérieur d'une cellule violence afin de comprendre ses risques.

I) Définitions

ALMA : Allo Maltraitance des Personnes Agées

CHSCT :  Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail

CME : Commission Médicale d'Etablissement

CTE : Comité Technique d'Etablissement

DHOS : Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins

II) Historique

Une prise de conscience sensible s'est produite au cours de ces dernières années dans le domaine de la violence et de la maltraitance.

Par exemple, l'association ALMA (Allo Maltraitance des Personnes Agées) oeuvre dans ce sens depuis le milieu des années 1990 en France.

Dès 1999, nomination d'un groupe d'experts auprès de la DHOS (Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins) pour travailler sur ce phénomène.

Ainsi fut rédigée la circulaire de 2000 de la DHOS :  DHOS/P 1 n° 2000-609 du 15 décembre 2000 relative à la prévention et à l'accompagnement des situations de violence.

Cette circulaire s'appuie notamment sur la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

III) Critique du règlement intérieur d'une "cellule violence".

Nous présentons ci-dessous le règlement intérieur d'une "cellule violence" en caractères noirs sur fond clair et notre critique en caractères bleus :

Les membres de la cellule s'astreignent au secret pour les déclarations dont ils ont connaissance hormis vis à vis des personnes agresseurs et agressées.

La notion de secret est toujours délicate à manier, sauf s'il convient de protéger les personnes, par exemple dans le domaine du secret médical.

Il n'est toutefois pas possible d'ignorer que tout plaignant doit pouvoir parler sans risquer de représailles.

Le fait de poser d'emblée les notions de "personnes agresseurs et agressées" est un a priori périlleux. Il implique un jugement de principe sur la situation en cause. Il conviendrait au moins de désigner les parties par : la (ou les) personne(s) plaignante(s) et la (ou les) personne(s) ayant fait l'objet de la plainte.

Il s’agit plutôt ici de la possible victime, du possible maltraitant, du témoin.

Ainsi serait acquis le principe qu'il ne convient pas d'utiliser des qualificatifs déjà partiaux devant une simple plainte. Ce processus peut être grave. Il a contribué dans le passé à de nombreuses erreurs.

De plus, la plainte n’en est pas vraiment une… Voilà en effet une notion qui a un sens juridique précis qu’il convient de maintenir. Ne porte plainte que la victime d’une infraction. Un témoin ne porte pas plainte, il signale ou dénonce. Pourquoi utiliser le terme de « déclaration » plutôt que celui de « signalement » ? 

Si ce n’est que sont souvent confondus les termes de « signalement » et de « délation ». Le terme « déclaration » fait peut-être moins peur.

Une considération importante est celle de la position de la cellule qui revendique implicitement sa neutralité bienveillante et une volonté d'apaiser.

Pourtant, toute déclaration devant cette cellule est évidemment un acte grave du simple fait de la dénomination de cet organisme.

Il faut malheureusement redouter qu'une telle assignation ne porte régulièrement atteinte à l'honneur professionnel des agents qui en seront l'objet, à tort ou à raison.

Dans un métier aussi sensible que celui de soignant, de plus en plus sujet à des remises en question judiciaires, une telle déclaration crée un précédent notable jetant a priori le discrédit sur une ou des personnes, quelle que soit leur culpabilité.

Cette considération est d'autant plus inquiétante que le centre hospitalier est souvent la plus grande entreprise d'une petite ville où tout se sait, parfois de manière déformée

En l'absence de dialogue, la tentation devient grande d'utiliser cette cellule comme une arme dans des conflits banaux, à l'instar des fausses accusations de harcèlement, qu'il soit sexuel ou moral. Cette situation peut même déboucher sur l'utilisation de la cellule par un tiers qui n'est pas directement concerné par le conflit.

La cellule ne reçoit pas. Elle n'est ni un tribunal ni un commissariat. Elle s'assure de la véracité des faits en sollicitant des témoins.

Autant dire que la communication n'est pas facile si la cellule ne reçoit pas.

L'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme stipule pourtant de manière, il est vrai, plus générale :

" Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. "

On imagine alors les difficultés pour accéder à son propre dossier, surtout quand on n'a pas des grands moyens de défense. Il serait au moins souhaitable que les deux parties soient assistées par une personne de leur choix. Ces points méritent d'être clairement explicités.

S'il ne s'agit pas d'un lieu de discussion sur la maltraitance, il faudrait créer un tel lieu…

Pourquoi éprouve-t-on le besoin de préciser qu'elle "n'est ni un tribunal, ni un commissariat ?"

Peut-être est-ce nécessaire pour que la cellule ne soit pas confondue avec la justice ou la police ? Toutefois, une définition positive de ce qu’elle est serait préférable à cette définition par ce qu’elle n’est pas…

Par contre, si elle "s'assure de la véracité des faits en sollicitant des témoins", comment la définir dans cette tâche qui ressemble à une enquête, sinon à une instruction à charge et à décharge ?

Comment éviter que la cellule ainsi définie ne mène pas une forme d’enquête ? Et comment éviter, lors d’une enquête, de révéler à certaines personnes une partie des faits ? N’est-ce pas ici aussi la difficulté, inévitable, du secret de l’instruction ?

Le fait de solliciter des témoins ne va-t-il pas entraîner inévitablement la rupture du secret évoqué dans l'alinéa 1 ?

A noter une erreur de vocabulaire. La véracité est une qualité : celle de ce qui est vrai (dictionnaire de l'Encyclopaedia Universalis CD version 9). Il est probable que le "législateur" avait voulu écrire : la "vérité". Le mot est parfois employé dans ce sens : la véracité d’un témoignage, d’une description. Toutefois, les termes de « vérité », ou d'«authenticité » ou de « réalité » seraient moins ambigus.

La cellule ne porte pas de jugement de valeur. Elle rappelle le cas échéant les règles de civisme et d'étique professionnelle. Elle n'opère aucune discrimination dans les déclarations. Elle répond dans tous les cas au déclarant non anonyme.

Donc acte ;  "la cellule ne porte pas de jugement de valeur". Alors, pourquoi considère-t-elle les parties en les qualifiant d'emblée ?

Le mot "étique" devrait manifestement être remplacé par celui d'éthique. En effet, le mot "étique" existe bien. Il s'agit d'un terme médical peu usité qui signifie "d'une maigreur extrême". Le mot "éthique" serait mieux adapté : "qui concerne la morale et ses principes" (dictionnaire de l'Encyclopaedia Universalis CD version 9).

Que signifie : "elle n'opère aucune discrimination dans les déclarations" ? Nous ne le saurons pas.

Si la déclaration met en cause un membre de la cellule, il ne siège pas.

C'est bien le moindre que l'on pouvait attendre.

L'interdiction de siéger devrait s'appliquer à tout membre de la cellule si des liens de parenté, d'influence, d'intérêts ou de subordination étaient établis. Ce dernier point revêt une importance pratique immédiate car certains membres sont soumis hiérarchiquement à d'autres.

Dès lors, il convient de s'interroger sur leur dépendance réciproque et sur les intérêts en jeu.

La cellule réoriente la déclaration vers un circuit hiérarchique dans la mesure du possible, vers le CHSCT en cas de problème de sécurité.

Ici se fait jour le processus de la transmission de la plainte. Sur quels critères cette déclaration sera-t-elle réorientée vers le circuit hiérarchique ? Cette réorientation aura-t-elle lieu après examen par la cellule ou d'emblée sur des critères préétablis ?

Pour les cas les plus fréquents, comment s'opère la transmission du signalement à l'autorité ? Qui représente cette autorité ? Quels sont les critères qui assurent la totale indépendance de la cellule par rapport à l'autorité considérée ?

L'aspect relatif à la sécurité révèle ici la confusion plus générale entre la sécurité matérielle et la violence humaine.

Toute violence physique entraînera une plainte de l'hôpital, avec accompagnement des victimes par un membre de la cellule.

Il s'agit ici du point le moins contestable de l'activité de cet organisme : celui de l'assistance à la victime, qu'elle soit considérée au départ comme un "agresseur" ou une "agressée".

Pour la première fois, on ne confond pas implicitement la victime et la personne agressée, admettant ainsi la complexité : par exemple, une victime peut être l'agresseur initial ... Peut-être aussi se trouvent ici en cause deux personnes qui s'agressent mutuellement.

Pourtant, la désignation préalable arbitraire des termes "agresseurs et agressés" entretient le doute sur le véritable sens de cette phrase.

D’autres infractions au code pénal, qui ne sont pas des violences physiques, comme par exemple le vol, devraient également entraîner une plainte de l’hôpital.

Il manque également quelques précisions sur ce qu’il advient de la victime : c’est à elle de porter plainte, normalement. L’hôpital peut-il se substituer à elle ? Sinon, s’il n’est pas  « victime », ce sera un signalement ou une dénonciation, pas une plainte.

Le cas échéant, une aide psychologique sera proposée par la cellule.

Pourquoi pas, en effet, faire bénéficier les personnes en souffrance de l'assistance d'un psychologue ? Sans toutefois en faire la solution miracle.

Cette aide peut être intéressante dans toute situation de souffrance : par exemple pour un employé blâmé par sa hiérarchie, dans une situation d'épuisement professionnel, de harcèlement moral ou sexuel, etc ...

Cette aide psychologique est souhaitable. Pourtant, ici encore se pose la question de la confusion des rôles. Dans l'hypothèse où l'indépendance de la cellule par rapport à l'autorité  n'est pas acquise, un employé blâmé par sa hiérarchie pourra recevoir une lettre de remerciement, mais peut-être pas l'assistance d'un psychologue.

La cellule réalisera un bilan annuel des déclarations de violence devant le CHSCT, et le cas échéant devant le CTE et la CME.

Pourquoi cette restriction traduite par les termes "le cas échéant" ?

Dommage : on aurait pu penser que la cellule chercherait à comprendre quelles sont les facteurs favorisant les violences de manière à les répercuter largement au niveau de l'ensemble de la structure hospitalière. Ainsi pourraient être envisagées des mesures préventives.

Conclusion

En quoi la hiérarchie démissionne-t-elle de son rôle traditionnel de régulation dans ce domaine au profit d'une telle cellule ?

L’enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions. Les humains recherchent probablement depuis les origines à établir la justice. Ils l'ont fait en créant progressivement des lois et des institutions de plus en plus complexes qui ont eu l'ambition de répondre à des soucis d'équité et de neutralité. Ils n'y sont pas encore totalement parvenus. Ainsi, la justice est-elle un métier difficile qui cherche sa voie depuis les débuts des civilisations.

Allons-nous inventer la justice à l'hôpital à l'instar d'un tribunal qui se doterait d'une structure hospitalière ?

Attention à ne pas inventer une justice privée qui entérinerait des zones de non droit.

Faut-il supprimer définitivement une "cellule violence" qui ne serait qu'une pseudo-justice maison ?  

Faut-il conserver la "cellule violence" et en modifier le règlement intérieur et le fonctionnement ? Ce règlement évoluerait alors vers davantage de transparence, de neutralité et une meilleure communication, conditions indispensables à la recherche de la vérité et surtout à la prévention des violences.

Faut-il se borner à traiter les agressions physiques caractérisées ?

A mon sens, une telle cellule devrait d'abord servir de lieu de réflexion sur la maltraitance et sur l'éthique soignante. Cette attitude devrait avoir une visée concrète : celle de la prévention. Elle se devrait aussi de créer un lien entre le monde juridique et le monde soignant en améliorant les compétences hospitalières dans le champ des droits et devoirs de chacun.

Dans tous les cas, l'assistance d'un juriste est indispensable lors de la rédaction d'un nouveau règlement intérieur. Une évaluation de la cellule est souhaitable à intervalles rapprochés, surtout au début de son fonctionnement, pour éviter ou limiter tout dérapage.

Laissons le mot de la fin à Jérôme Pélissier qui écrit récemment dans l'ouvrage collectif "Silence, on frappe ..." à la page 311 :

"Des commissions ou des cellules commencent à apparaître, au sein d'un certain nombre d'établissements, dans le but de réduire les phénomènes de maltraitance.
Souhaitons qu'une bonne connaissance de ce que sont ces phénomènes leur permettent de définir rapidement ce qui ne doit pas être de leur ressort (par exemple le règlement de différents entre employés et employeur ou entre employés). Elles participeront ainsi, de surcroît, à rendre moins confuse l'utilisation de la notion de maltraitance et à préciser le sens exact d'un certain nombre d'autres termes (délits, violences, privations, faute professionnelle, ignorance, incompétence, signalement, délation, complicité, solidarité, etc.) qui ont tendance à devenir synonymes."


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