Traçabilité ou tracabilité
Rendant récemment visite à une
personne âgée hospitalisée, j’eus la surprise de lire de manière indiscrète une
note de service faisant état de « tracabilité ». Ce lapsus
calami motivé par l’incomplétude locale de la maîtrise du traitement de texte
m’a interpellé. Je me suis demandé si un fond de vérité se cachait derrière
cette coquille dont Sigmund nous aurait sûrement révélé quelque secret.
Le mot « traçabilité »
est en effet une des dernières coqueluches de nos notes administratives. Ceci
repose sur la nécessité de mieux connaître nos pratiques et de pouvoir en
répondre. Bien.
Toutefois, il convient peut-être
de s’arrêter quelques instants pour contempler l’évolution des concepts de
soins : le mot « humanisation » est insidieusement remplacé par
« évaluation » devenu le seul audible. La traçabilité serait censée permettre la
reconnaissance de nos professions, voire le maintien des ratios de personnels.
Qui voudra bien me le démontrer ? La création d’outils d’évaluation en tous
genres permettrait une standardisation souhaitable des pratiques. Sans nier
leur intérêt, il faudra prouver que tout peut être mesuré, quantifié, maîtrisé,
planifié. Le tout aboutissant à des scores, des formules et des algorithmes qui
font la joie du logiciel Excel et de ses magnifiques graphiques ! A
condition toutefois que quelqu’un prenne la peine de comprendre et
d’interpréter les masses gigantesques de données ainsi accumulées. Et que cette
éventuelle synthèse ne demeure pas secrète en servant seulement à "optimiser" les moyens, notion souvent
synonyme de réduction.
Il est loisible d’imaginer aussi
que cette supervision est restituée aux soignants et aux usagers. Un rêve.
Les infirmières et les
aides-soignantes contemplent longuement et régulièrement leur ordinateur. Les
mauvaises langues disent qu’elles y échangent quelques micro-organismes sur le
clavier. D’autres, plus négatives encore, nous disent qu’elles n’ont plus le
temps de regarder leurs malades. Qui écoute les résidents ? Qui répercute
ce message des soignants ? Vouloir rassurer le public sera vain et
contreproductif si la vérité est dissimulée.
Ne serait-on pas allé trop loin en
voulant appliquer des techniques industrielles et commerciales à nos
institutions soignantes ? Aurait-on oublié l’accompagnement humain qui
serait désormais dévolu aux rares psychologues ? Nos formations
scientifiques et techniques ne devraient-elles faire une plus large place au
sens du soin, à l’éthique, à la relation au malade et aux autres membres de
l’équipe soignante ?