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mise en ligne le 2 mars 2002

mise à jour le 2 octobre 2009

La réaction de Miche Cavey médecin gériatre, au texte relatif à la défense des SSLD

 

Je me demande si on peut se contenter de l'article de Bernard Pradines intitulé : "Pourquoi les services de soins de longue durée français ne doivent pas disparaître", qu'on peut trouver à l'adresse : http://geriatrie-albi.com/SSLDplaidoyer.html.

Je ne crois pas qu'on puisse plaider de cette façon.

Il s'agit d'un combat perdu d'avance : les jeux sont faits et les enjeux financiers sont grands.

Ce dont nous sommes menacés, nous ne l'avons pas volé.

 

L'évolution actuelle de la tutelle relativement aux Unité de Soins de Longue Durée (USLD) se fonde notamment sur trois arguments :

 

Le premier argument est qu'il n'existe pas de différence statistiquement significative entre une population d'Unité de Soins de Longue Durée (USLD) et une population de Section de Cure Médicale (SCM). C'est vrai, mais il faut se demander pourquoi.

Dans le centres où il existe une Unité de Soins de Longue Durée et une Section de Cure Médicale, les patients sont répartis en fonction de leur état au moment de l'entrée et des disponibilités administratives. Le forfait soins en Unité de Soins de Longue Durée est plus important qu'en Section de Cure Médicale. Il en résulte un intérêt à remplir d'abord l'Unité de Soins de Longue Durée. Cette affectation n'est guère remise en cause ensuite, même quand le patient de Section de Cure Médicale s'aggrave, ou que le patient d'Unité de Soins de Longue Durée s'améliore. C'est ainsi que les deux populations se ressemblent. Mais si, comme je le fais chez moi, on prend la peine de réactualiser périodiquement les affectations, on s'aperçoit qu'il existe bel et bien deux populations différentes.

Évidemment, je peux le faire parce que mes deux unités sont topographiquement indistinctes, et que je ne procède qu'à un changement de couleur de l'étiquette. Mais les gériatres doivent choisir. Ou bien ils disent que le malade ne se trimbale pas comme un paquet de linge sale et qu'il doit être pris en charge là où il est. Cela conduit à renoncer à la spécificité de l'Unité de Soins de Longue Durée. Ou bien ils disent que le malade doit être soigné là où les soins sont les plus adaptés, et on garde les Unité de Soins de Longue Durée mais cela conduit à trimbaler le malade.

 

Le second argument est qu'il n'est pas toujours facile d'établir une distinction tranchée entre Unité de Soins de Longue Durée et Soins de Suite et de Réadaptation (SSR). Cette difficulté vient largement du fait qu'il n'existe pas d'outil adapté pour mesurer l'activité Soins de Suite et de Réadaptation. Le PMSI est bien incapable d'appréhender la complexité des situations. De plus, il a été taillé sur mesure pour la rééducation fonctionnelle.

Comment diable avons-nous pu laisser commettre ce mélange entre le services de rééducation fonctionnelle et les soins de suite gériatriques ?

On s'étonne après cela que la prise en charge en Soins de Suite et de Réadaptation ne soit pas valorisée, et que l'activité des infirmières et aides-soignantes ne soit pas prise en compte dans le PMSI (qui intègre celle du moniteur d'auto-école...).

La situation actuelle, il faut le reconnaître, fait que souvent le service de Soins de Suite et de Réadaptation  fonctionne comme un lieu où le malade sorti de médecine observe une sorte de délai de décence avant d'aller en Unité de Soins de Longue Durée.

 

Le troisième argument est que l'Assurance-Maladie, qui est tout de même un peu maîtresse du jeu, considère que le seul critère d'hospitalisation est la nécessité médicale de se trouver à proximité d'un plateau technique adéquat. C'est ainsi qu'Huguette n'a rien à faire en Unité de Soins de Longue Durée. Elle a une sclérose latérale amyotrophique, elle est trachéotomisée et ventilée, mais cela n'a rien d'insurmontable à domicile. D'accord ! Son mari a une maladie maniaque, mais cela pose un problème social, non sanitaire !

Mais qu'avons-nous fait d'un peu énergique pour lutter contre cette distinction absurde entre sanitaire et social ?

Ou encore le Médecin-Conseil qui est venu contrôler mon activité de médecine a trouvé que, d'après sa grille, aucun des patients hospitalisés ce jour-là n'aurait dû l'être. Je ne leur faisais pas d'actes techniques. Ca va, il n'est pas idiot, il a vite compris que ne pas faire de technique, c'est très technique.

 Bref cette situation conduit l'Assurance-Maladie à pousser dans deux directions :

La première est la plus visible: l'Unité de Soins de Longue Durée va entrer dans le mécanisme des Etablissements d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD).

Franchement, je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un gros danger : les coûts ne seront guère différents, les ventilations non plus. Les gens n'étant pas idiots, ils verront vite que les résidents seront ventilés en fonction de la proximité plus ou moins grande d'un centre. Par ailleurs, le fait que la charge en soins s'alourdisse dans tous les établissements nécessite dans tous les cas ce réaménagement.

Mais il y en a une autre: le glissement des Unité de Soins de Longue Durée vers les EHPAD crée une disponibilité au moins conceptuelle que la tutelle entend bien utiliser en créant la notion de Soins de Suite et de Réadaptation prolongés. Il s'agit de mettre un terme à ces séjours durables de Soins de Suite et de Réadaptation. La durée sera limitée à 30 à 60 jours. Au-delà, on entre dans les Soins de Suite et de Réadaptation prolongés et le malade paie son hébergement. L'entourloupette est là: les malades actuellement en Unité de Soins de Longue Durée vont se retrouver en EHPAD, et on remplira les Unités de Soins de Longue Durée avec le Soins de Suite et de Réadaptation. Naturellement on suppose bien qu'il y aura donc de la place en Soins de Suite et de Réadaptation pour vider les lits de médecine. C'est là, et non ailleurs, que se trouve le danger.

 

Nous avons rendu cela possible en acceptant que l'on réunisse sous le vocable de "Soins de Suite et de Réadaptation" des situations aussi disparates que les maisons de convalescence, les centres de rééducation et les soins de suite gériatriques.

 

Mais le pire est dans nos multiples renoncements.

 

Nous n'avons pas refusé d'entrer dans la distinction entre sanitaire en social. Il le fallait. Il fallait pointer les contradictions. Par exemple, les SSIAD n'interviennent que sur des malades GIR 3. Je ne saisis pas comment on peut juger de l'opportunité de soins infirmiers sur des critères de dépendance : le premier est de l'ordre du sanitaire, le second de l'ordre du social. Et je ne comprends pas pourquoi les dossiers d'Allocation Personnalisée à l'Autonomie (APA) ont un volet médical. En somme la distinction entre sanitaire et social est à géométrie très variable pour une même tutelle. Nous n'aurions pas dû accepter cette hypocrisie.

C'est pourquoi le texte de Bernard se trouve pris dans des ambiguïtés.

 

La réalité qu'il décrit, je la connais bien, je vis la même. Mais que dit-il?

- La situation de l'Unité de Soins de Longue Durée est engendrée par la lourdeur des soins de base. Mais les soins de base, c'est de la dépendance.

- La pathologie chronique réellement instable, celle qui interdit tout retour à domicile, est exceptionnelle. Ce que nous voyons, ce sont des pathologies multirécidivantes qui peuvent faire l'objet de retours à domicile entre les crises.

- Les Unités de Soins de Longue Durée hébergent des personnes pour qui les possibilités thérapeutiques sont limitées. Il n'y a donc pas de soins. Pourquoi les garder à l'hôpital ? Les maladies ostéoarticulaires dégénératives sont source de handicap et de dépendance, non de soins.

 

Ce sur quoi la tutelle joue, c'est sur l'ambiguïté. Pour mieux dire, elle entretient l'hypocrisie du clivage entre sanitaire et social. Alors qu'il est évident pour tout praticien que les plus dépendants sont les plus malades, ne serait-ce qu'à cause des complications de la dépendance.

 

C'est parce que nous n'avons pas su, pas voulu, pas pu imposer l'idée que la dépendance est une maladie que nous en sommes arrivés là. La notion d'hospitalorequérance est une absurdité, puisqu'elle admet que la dépendance n'est jamais en soi une raison pour être hospitalisé. De surcroît, le système est ainsi conçu que la majorité de mes GIR 1 ne sont pas hospitalorequérants.

 

Les menaces qui pèsent sur les Unités de Soins de Longue Durée ne sont que le prix de nos inconséquences et de notre manque de combativité. C'est la suite d'AGGIR, d'ARGOSS et de notre compromission sur le PMSI.

 

Il y a quelques années maintenant qu'on dit ça. Mais c'est un procès d'intention.